Citizen Kane (Orson Welles)

Publié le par Stéphanie MAYADE

Citizen Kane (Orson Welles)

On nous dit que Citizen Kane est un chef-d’œuvre parce qu'il fait date dans l'histoire du cinéma en raison de ses innovations formelles. Or, ce n'est pas toujours parce qu'un film fait date que c'est un chef-d’œuvre. Des films qui ont marqué par leurs innovations formelles et qui ne sont pas pour autant très bons, il en existe quelques uns. Metropolis est un bon exemple de film qui a influencé tout le cinéma de science-fiction, dont Blade Runner, et qui, pourtant, n'est pas si bon que ça. Alors oui, l'image est plutôt belle. Mais le gros problème des innovations formelles de Citizen Kane, c'est qu'elles sonnent creux.

La critique sociale, qui concerne le modèle capitaliste, est esquissée et pourrait aisément se résumer par "l'argent corrompt et ne rend pas heureux". Bon, c'est assez sommaire. L'aspect psychologique est effleuré, lui aussi. Le motif même du mot Rosebud est bâclé et la scène finale est d'une grande pauvreté cinématographique, alors que ça aurait dû se révéler le nadir du film. Il n'est jamais question de l'enfance de Kane au long de l'histoire, le thème, là encore, n'est pas fouillé et la luge qui brûle à la fin tombe comme un cheveu sur la soupe. On ne comprend même pas pourquoi Charles, enfant, est éloigné de sa famille... Bref, le film se disperse autour d'un sujet qui ne sera exploité ni dans un sens, ni dans un autre.

Quant aux innovations formelles, elles sont utilisées parfois sans utilité, parfois par facilité. Le pseudo-reportage du début est ennuyeux et sans intérêt, puisqu'on va tout nous redire par la suite. Le recours aux ombres, d'une part n'est pas franchement une nouveauté (l'expressionnisme était passé par là bien avant et avait laissé de nombreuses traces), d'autre part se révèle parfois vaine. Que Kane recouvre de son ombre Susie, très bien ; c'est un peu voyant, mais c'est parlant. Que Kane soit placé dans l'ombre, entre Leland et Bernstein, juste avant la profession de foi, c'est également parlant, puisque la zone d'ombre qui est en Kane est déjà apparente par ce biais. Enfin, ça manque un peu de subtilité, tout de même ! Les gros plans, ça pourrait être tout aussi intéressants. Sauf que, après avoir vu la bouteille en gros plan dans le bureau de Leland, on a affaire exactement au même procédé avec le verre et la cuillère dans la chambre de Susie après sa tentative de suicide. C'est une facilité, on a l’impression que Welles nous dit "Ah, ah, vous n'avez jamais vu ça avant, allez, je vous en remets une dose !"

Quant à l'idée, ma foi intelligente, d'utiliser le format de l'enquête journalistique et de faire appel aux différents points de vue des personnages, là aussi c'est mal exploité. On s'attend à ce que chaque personnage donne une vision différente de Kane (on pense à Rashomon). Or, non seulement ce n'est pas franchement le cas, mais c'est réalisé en "trichant". Étant donné que chaque personnage raconte ce qu'il connaît de Kane, on est censé voit uniquement ce que le personnage en question a vu de ses propres yeux (je renvoie à ce que dit Hitchcock de la narration qui "triche" dans le livre qui a inspiré le film). C'est le B.A BA de l'utilisation du point de vue au cinéma, en littérature, en peinture, en photo, etc. Or, ici, on voit se dérouler sous nos yeux des scènes lesquelles le personnage qui prend la parole n'a pas pu assister, sans que rien ne nous laisse entendre que le narrateur invente ou ment sciemment (contrairement à ce qui est montré dans la saison 1 de True Detective, par exemple). On jongle donc sans raison, si n'est pour arranger le réalisateur, entre le recours au point de vue d'un personnage donné et le recours à un narrateur omniscient : une facilité, là encore ! Résultat : c'est un film qui n'est pas divertissant, qui ne suscite pas l'émotion, mais qui ne fait pas réfléchir non plus.

Tout ça n'est pas étonnant de la part d'un réalisateur qui n'en est qu'à son premier film, et c'est d'ailleurs excusable, d'autant que c'est plein de trouvailles esthétiques. Ce qui est étonnant, c'est que, malgré tous ses défauts flagrants, on qualifie ce film, finalement long et ennuyeux, de chef-d’œuvre.

Publié dans Cinéma

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I
Je salue ton argumentation. Moi aussi je me suis ennuyé avec ce film. De tous les défauts que tu cites à la fin, c’est le manque d’émotion que je trouve le plus flagrant. Je me suis dit : tout ça pour ça ?
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