Utopie (Thomas Bouchet)

Publié le par Stéphanie MAYADE

Oh, encore un livre sur l'utopie ! Moi qui n'avais jamais rien lu sur le sujet auparavant, on peut dire que je me rattrape.

 

 

Je pensais que celui-ci allait être complémentaire de Mondes (im)parfaits. L'est-il ? Oui et non. Oui, parce qu'il explore d'autres pistes que le catalogue d'exposition de La Maison d'Ailleurs. Non, parce que l'essai de Thomas Bouchet m'a trop laissée sur ma faim pour que je le considère à la hauteur de Mondes (im)parfaits.

 

 

Les gros points forts de ce livre, ce sont certains de ses chapitres, et une façon d'aborder l'utopie qui n'est pas si habituelle (encore que, comme je l'ai fait remarquer plus haut, je n'y connaisse pas grand-chose). Thomas Bouchet insiste en effet sur le fait que l'utopie s'accommode mieux des minuscules et du pluriel que d'une majuscule de du singulier. Autrement dit, c'est la diversité de l'utopie qui fait tout son intérêt, mais aussi le fait qu'elle prenne corps dans de multiples projets individuels ou collectifs. En cela, il rejoint Benoît Peeters dans Mondes (im)parfaits, qui parle d'utopies "locales, modestes, ponctuelles, pourrait-on dire". Thomas Bouchet ne le formule pas de façon carrée, mais au contraire en allant chercher à droite et à gauche (enfin pas vraiment à droite, en fait...), des exemples d'utopies aux visages différents les uns des autres. Ce qui ressort le plus de cet essai, c'est que l'utopie, c'est quelque chose de mouvant, qui se doit de changer constamment, au risque de s'enliser ou de se voir dévoyée.

 

 

D'où l'intérêt en particulier de deux chapitres. Celui sur les entreprises qui ont pris comme nom Utopie ou Utopia et sont, sous couvert d'une appellation qui invite au rêve, des machines consuméristes. Ou comment vider de son sens un concept foisonnant... L'autre chapitre marquant, c'est bien sûr celui sur le socialisme, ou plutôt les socialismes, puisqu'ils ont été eux aussi multiples et constamment accusés de faire basculer l'utopie vers la dystopie et l'autoritarisme. Thomas Bouchet se penche sur la question, sans conclure qu'à l'évidence, le socialisme c'est forcément l'autoritarisme. Ni l'inverse. Je ne vais pas m'étendre dessus, mais j'ai découvert que pas mal de socialistes des débuts se sont attachés à se dissocier d'une image d'utopistes. Ben oui, l'utopie, ça a toujours été plus ou moins mal vu, on dirait, et ce depuis Thomas More.

 

 

Mais tout ça est assez foutraque. On n'est pas dans une histoire de l'utopie, d'accord. On est davantage dans une forme d'essai qui tiendrait (seulement en apparence, évidemment) d'une réflexion menée au fur et à mesure de l'écriture. Et qui pose quelques problèmes. Parce que si l'auteur nous invite à sa suite à aller du côté des penseurs socialistes, des écrivains des XVIème, XVIIème, XVIIIème siècles, il nous balance aussi des exemples un brin bizarres. Pourquoi parler du Cirque Plume comme d'une utopie ? J'ai mon idée sur la question (Nouveau Cirque, pas d'animaux), mais rien ne dit que c'est celle de Thomas Bouchet. Il y aussi les Gilets jaunes qui reviennent pas mal sur le tapis et que l'auteur nous présente comme des utopistes. Si je me réfère à ceux que j'ai rencontrés au début du mouvement, racistes, crachant sur la gauche encore plus que sur Macron, sur l'écologie, et sur pas mal d'autres petits trucs que, personnellement, je juge important de défendre, qui avaient tous voté aux élections présidentielles pour une candidate défendant un modèle ultra-libéral (pour ne pointer que ça), je ne vois pas bien où est l'utopie. Certes, je n'ai pas rencontré tous les Gilets jaunes. Mais Thomas Bouchet non plus. Et pourquoi nous les présenter comme majoritairement de gauche ?

 

 

C'est là que le pamphlet nuit à l'essai. Je suis sur la même ligne que Thomas Bouchet pour ce que j'ai pu en voir : contre les inégalités sociales qui gangrènent le monde, pour faire toujours davantage en matière d'écologie, contre un mode de vie consumériste, et j'en passe (bon, oui, c'est presque trop facile de le dire). Je comprend tout à fait l'intérêt de l'utopie : elle a valeur de charge critique - et là on en revient à Mondes (im)parfaits -, et permet de mettre en œuvre des projets pour changer le monde (en mieux, faut-il le préciser) à tous les niveaux. Mais franchement, quel besoin de parler du Cirque Plume qui arrive comme un cheveu sur la soupe, quel besoin de parler je ne sais combien de fois des Gilets jaunes, quel besoin, même, de répéter à l'envi qu'on a un problème avec le capitalisme ? Les lecteurs de cet essai savent bien qu'on a un énorme problème avec le capitalisme. Ça fait pas de mal de le rappeler, mais le répéter sous toutes les formes, est-ce pertinent ? Alors que rappeler ce qu'a dit Manuel Valls sur le socialisme, rappeler la façon dont le socialisme français s'est accommodé du libéralisme économique, c'est plus rare et ça vaudrait le coup d'être plus développé.

 

 

Ce qui m'amène à une question que je me pose tout le temps quand je lis ce genre d'essai : à qui s'adresse l'auteur  ? Dans notre cas, pas aux pourfendeurs de l'utopie. S'ils lisent le livre, ce sera avec une idée préconçue. C'est tout le paradoxe de ces essais qui défendent des idées de gauche : vous ne les lisez en général que si vous êtes de gauche, ou pour vous railler des idées de gauche. Et c'est exactement la même chose pour les essais qui vont défendre des idées de droite, ou des idées ceci ou cela. C'est toute la limite de ce genre d'exercice, surtout en format court. Comment ne pas tomber dans le piège, du coup ?

 

 

Bien. Notons tout de même que, malgré mon approche mitigée de cet essai, on y trouve des informations non dénuées d'intérêt, dont beaucoup de références à divers penseurs et écrivains. Pour ma part, j'aurais apprécié une bibliographie en fin d'ouvrage, mais il semblerait que ça soit une habitude qui se perd (il faut donc feuilleter le livre pour retrouver les références, ou prendre plein de notes au fur et à mesure, ce que je trouve tout sauf pratique). Une bonne chose, en tout cas, c'est que j'ai découvert une maison d'édition, anamosa, et une collection, le mot est faible (c'est le nom de la collection, oui). Il serait intéressant de voir ce que donnent d'autres titres. Je m'attaquerais bien à celui sur l'Histoire. Mais avant tout, je me dois de lire L'Utopie de Thomas More, à présent. Allez, zou, en avant pour l'île d'Utopia ! Enfin, quand j'aurai fini ce que j'ai en cours, et aussi quand j'aurai lu ce que j'ai emprunté à la bibliothèque. Hum. On dirait bien que j'ai besoin d'être stimulée, ou je risque fort d'attendre dix ans avant de lire Thomas More...

 

 

 

 

Publié dans Essai, Littérature

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