Oncle Vania (Anton Tchekhov)

Publié le par Stéphanie MAYADE

Une fois de plus et comme pour La Cerisaie, impossible de me souvenir si j'ai lu Oncle Vania à mon adolescence. Je pensais que oui, après ma récente lecture je pencherais plutôt pour un non, mais il est aussi possible que la forte impression que m'avait fait La Mouette, ma toute première pièce de Tchekhov (que je n'aime plus trop trop à présent), ait effacé de ma mémoire une autre pièce que j'aurais alors moins aimé. Allez savoir ! Là, je me dis qu'en tout cas, si j'ai bien lu Vania après La Mouette, je n'avais sans doute pas l'âge pour l'apprécier - et inversement pour La Mouette. Mais passons !

 

 

Un petit retour sur l'aventure qu'a été la composition de cette pièce, qui a connu bien des tours et des détours. Tchekhov avait écrit une pièce qu'on intitule en français Le Sylvain (ou L'Homme des bois, ou encore je ne sais plus quoi). Je crois que c'était en 1886 (admirez la précision de mes informations). Bon, en fait, après vérification, c'était plutôt en 1889. Sur ce, il la détruit en septembre 1889. Il réécrit la pièce et il est prévu de la faire jouer en octobre à Saint-Pétersbourg (en voilà un homme qui travaillait vite !), mais elle est finalement refusée avec une lettre d'accompagnement où on conseille tout simplement à Tchekhov d'écrire des nouvelles et de laisser tomber le théâtre (le type qui a écrit la lettre, Lenski, était un visionnaire, convenez-en). Sur ce, Tchekhov prend très au sérieux ce conseil et affirme qu'il n'écrira plus de pièce de théâtre. Et sur ce, il va tout de même un peu plus tard (mais quand, c'est la question qui semble faire débat) réécrire Le Sylvain en la transformant pas mal, ainsi que composer deux ou trois petites choses pour le théâtre... Donc, Oncle Vania est l'aboutissement d'un long travail sur Le Sylvain, et cependant une pièce autre. Certains exégètes pensent qu'Oncle Vania s'est vue achever en 1890 (c'est-à-dire avant les trois autres "grandes pièces" de Tchekhov), d'autres qu'il s'agit d'une pièce de 1897 (donc composée après La Mouette). Ce n'est sûrement pas moi qui vais trancher.

 

 

On retrouve dans Oncle Vania le décor typique de la tétralogie de Tchekhov : le domaine familial, qui réunit à la fois parentèle et amis, dans une Russie fin de siècle, où les personnages s'étiolent. Ici, Vania, un homme d'une bonne quarantaine d'années, gère avec l'aide de sa nièce Sonia les terres qui appartenaient à sa sœur décédée. Vit avec eux un ami, propriétaire terrien ruiné, et vient les voir régulièrement un autre de leurs amis, le médecin Astrov. Les tout derniers arrivés sont le beau-frère de Vania et père de Sonia, le professeur Serebriakov, âgé d'une soixantaine d'années et se plaignant sans cesse de différents problèmes de santé, et la seconde épouse de celui-ci, la belle Elena, qui a au minimum trente ans de moins que lui et fait tourner les têtes masculines. Comme très très souvent chez Tchekhov, les uns et les autres traînent un mal de vivre incurable, et les uns sont amoureux des autres qui sont amoureux d'autres encore (quand il s'agit bien d'amour, ce qui n'est pas toujours le cas), les enfermant tous dans un cercle vicieux.

 

 

Je vous pose la question : pourquoi cette pièce, qui ressemble tout de même pas mal à La Cerisaie, mais aussi à La Mouette et aux Trois Sœurs, a-t-elle fonctionné sur moi comme pas une autre de Tchekhov (excepté une ou deux pièces courtes) depuis que j'ai vieilli ? Le fait est que j'ai aimé cette pièce, alors que je me plains tout le temps que je n'aime pas tellement Tchekhov. J'y ai trouvé sans doute plus de naturel que dans les autres. Les dialogues m'ont semblé davantage couler de source, et les personnages, également, m'ont semblé plus accessibles. Ca mériterait que je relise Les Trois Sœurs, pour le coup.

 

 

Toujours est-il que Tchekhov scrute ici avec finesse et sans en faire trop la vacuité de la vie de ses personnages, qui traînent leur mélancolie, leurs regrets, mais aussi leurs espoirs (même s'ils sont souvent déçus) sans jamais trouver de solution à leur mal-être, ou du moins s'y prenant mal pour s'en sortir (essayer de tuer son beau-frère n'étant pas une solution pour aller mieux, par exemple). Et le sujet des forêts qu'essaie de planter Astrov est assez déconcertant quand on lit la pièce aujourd'hui, car Tchekhov semble avoir déjà compris à la fin du XIXème siècle (même s'il ne fut pas le seul) quel chemin prenaient les êtres humains dans leur rapport à la nature. Cela dit, on notera qu'il s'agit là d'une nature façonnée par l'homme, comme d'habitude chez l'auteur, et que la nature à l'état sauvage reste absente - ce serait peut-être intéressant de mettre Oncle Vania en parallèle avec Le Canard sauvage d'Ibsen, d'ailleurs. Il n'en reste pas moins que le propos est saisissant.

 

 

Néanmoins... Bon oui, je ne pouvais pas continuer sur ce ton jusqu'au bout ! Donc : néanmoins, me pèse encore la difficulté à appréhender l'ironie de Tchekhov à travers la seule lecture de la pièce. Car Tchekhov voyait cette pièce, comme toute les pièces de sa tétralogie, comme une comédie, ce que nous occultons assez facilement. On voit bien que certains passages sont d'une portée un tantinet comique, mais pour l'ensemble de la pièce, ça me paraît beaucoup moins évident. Je me pose toujours la question : pourquoi ? Est-ce un problème de traduction(s), l'ironie étant très difficile à rendre dans une autre langue que le russe ? Est-ce parce que Tchekhov comptait sur la mise en scène pour mettre en avant cette ironie ? Pour ce qui est de mon expérience, je n'ai jamais vu une mise en scène qui rendait bien le comique de Tchekhov : soit c'était joué limite (ou carrément) à la façon d'une tragédie, soit l'aspect comique était tellement appuyé que ça en devenait pénible.

 

 

Je terminerai sur cette citation de l'auteur, qui prouve à quel point il ne voyait pas son théâtre comme horriblement dramatique : "Dans la vie, les hommes ne se tuent pas, ne se pendent pas*, ne se font pas des déclarations d'amour à tout bout de champ. Ils ne disent pas à tout instant des choses pathétiques. Ils mangent, se traînent, et disent des bêtises. Et voilà, c'est cela qu'il faut montrer sur scène. Il faudrait écrire une pièce où les gens arriveraient, partiraient, mangeraient, parleraient de la pluie et du temps, joueraient aux cartes, et tout cela non pas parce que l'auteur en a besoin, mais parce que tout ça se passe ainsi dans la réalité."

 

 

 

* si, quand même, parfois ça arrive...

 

 

 

Publié dans Théâtre, Littérature

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