L'univers de George Minne et Maurice Maeterlinck (Collectif)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Il y a quelque chose qu'il faut que vous sachiez avant de lire la suite de cette critique : je confondais le sculpteur, dessinateur et graveur George Minne avec le sculpteur Constantin Meunier jusqu'au moment où j'ai ouvert le livre dont je vais parler. Minne et Meunier, qui sont deux sculpteurs belges du XIXème, certes, mais pas tout à fait de la même époque et qui n'ont pas grand-chose en commun dans le style, Meunier étant réaliste, et Minne symboliste et expressionniste. Autant dire que j'ai beaucoup appris avec ce catalogue d'exposition. Exposition montée à l'occasion de... euh... allons bon, j'ai oublié, mais c'est en rapport avec Maeterlinck. Un moment que je vérifie... Oh, je suis impardonnable ! Mais oui, c'est à l'occasion du centenaire du Nobel de littérature attribué à Maeterlinck que l'exposition a été montée en 2011 à Gand (Gent), ville natale des deux artistes.

 

 

J'ai rarement... non, en fait je n'avais jamais lu un catalogue d'exposition qui soit aussi cohérent dans sa composition. En général, pour un catalogue d'expo, des essais sont commandés sur tel ou tel sujet à tel ou tel contributeur, contributeurs qui travaillent chacun de leur côté et, par conséquent, écrivent des textes qui se recoupent et donnent un effet un peu, voire pas mal répétitif à l'ensemble. Ca vaut en tout cas pour ce qui se fait en France, car j'avais déjà eu l'occasion de remarquer que les catalogues ne se conçoivent pas toujours tout à fait de la même manière en Belgique (sans compter qu'on est moins lèche-bottes dans les catalogues belges). Mais là, c'est vraiment le parfait exemple d'un ensemble de textes qui se suivent et se répondent les uns aux autres de manière à ce que le lecteur suive un chemin d'une implacable logique.

 

 

Ainsi, six essais sont consacrés aux années gantoises (donc de jeunesse) de Maeterlinck et Minne, puis au rapport du texte de théâtre (et un peu de poésie, mais beaucoup moins) de Maeterlinck avec l'illustration et, de façon plus large, avec le travail du livre, rapports typiques du symbolisme et de l'Art Nouveau (on est complètement dans la notion d'art total). Et cette réflexion sur une facette de l'art total est complétée par l'essai qui suit et qui aborde les mises en scène des pièces de Maeterlinck, auxquelles les Nabis contribuèrent (encore une chose que j'ignorais!) Et tout naturellement, on en vient au symbolisme de Maeterlinck et Minne, à leur univers, à leurs liens et à la synergie du mouvement (si mouvement il y a) symboliste. Ces quatre essais font la part belle à Maeterlinck, ne nous le cachons pas. Le suivant est exclusivement centré sur George Minne et son influence sur les artistes allemands, et le dernier essai sur l'influence de Maeterlinck et Minne sur la Sécession viennoise, Schiele et Kokoschka.

 

 

Ca peut paraître opportuniste de la part du Museum voor Schone Kunsten de Gand/Gent d'avoir profité de ce centenaire, et d'avoir poussé Minne l'air de rien sur le devant de la scène. Le fait est que, si Maeterlinck est tout de même le "héros" du catalogue, Minne et lui se sont connus, ont été amis (enfin, ils se promenaient régulièrement ensemble sans parler, je n'en sais pas beaucoup plus sur ce point) et ont surtout collaboré sur les éditions des pièces de Maeterlinck - d'ailleurs, c'est en lisant ce catalogue qu'on comprend comment en a été conçue la couverture : elle est calquée sur certaines éditions de Maeterlinck illustrées par Minne. Et il va de soi que les deux hommes ont évolué, tout en étant de conditions sociales et de caractères très différents, dans le cercle du symbolisme belge et international, bien que Maeterlinck ait été beaucoup plus consacré hors de Belgique que Minne. Quant à l'analyse de leurs œuvres respectifs, elle est très bien menée.

 

 

Un petit souci, cependant : il semble que les auteurs des essais soient des experts de l'histoire de l'art avant toute chose, et, si l'univers de Maeterlinck est très bien décrit, on s'aperçoit que quelques erreurs apparaissent ici ou là. Ainsi, on nous parle du "conte" des Sept Princesses, qui est en réalité une pièce de Maeterlinck, certes utilisant les codes du conte, mais qu'on ne peut certainement pas qualifier de conte en tant que genre littéraire. Plus embêtant, la question des marionnettes : il est dit dans ce catalogue que Maeterlinck avait conçu trois pièces pour marionnettes. Il s'agit d'Alladine et Palomides, d'Intérieur et de La Mort de Tintagiles. Or, si ces pièces furent regroupées dans un recueil intitulé Trois petites pièces pour marionnettes, Maeterlinck n'a jamais imaginé de les faire jouer avec des marionnettes ; c'est bien simple, il n'avait pas prévu qu'elles soient jouées du tout ! Et surtout, surtout, ce qu'entend Maeterlinck par "marionnette" (je crois que j'en avais parlé dans ma critique de La Mort de Tintagiles), c'est une manière de concevoir l'acteur, tel une coquille vide qui n'apporte rien de personnel ni de psychologique au personnage qu'il interprète - c'est valable pour tout le premier théâtre de Maeterlinck. Je comprends bien qu'on puisse facilement tomber dans ce genre de confusion lorsqu'on n'est pas spécialiste du théâtre de Maeterlinck, mais le minimum syndical est dans ce cas de faire relire son essai, justement, par un spécialiste de Maeterlinck. Il n'est pas normal qu'un simple lecteur relève aussi facilement l'erreur.

 

 

À l'inverse, on trouve des précisions sur le projet de collaboration entre Maeterlinck et Degouve de Nuncques, projet qui n'a jamais abouti, alors que tout ce que j'avais lu jusqu'à présent laissait penser le contraire ; peut-être un certain flou flottait-il dans les autres textes que j'avais lus sur le sujet et m'avaient amenée à des élucubrations, mais au moins, les choses ici sont claires. Et je tiens à noter qu'on découvre par le truchement de ce catalogue d'autres artistes que Minne qui ont illustré Maeterlinck, en particulier Charles Doudelet (encore une nouveauté pour moi !)

 

 

Un ouvrage très intéressant, qui ne nous submerge pas sous trop d'essais, ni sous des textes trop longs, ni sous trop d'érudition (je pense aux catalogues du Louvre dont certains textes sont parfois assez décourageants), avec beaucoup de reproductions, et qui fait, comme l'annonce le titre, découvrir ou redécouvrir tout un univers. Dommage pour le coup des marionnettes !

 

 

(Ah ! Et j'ai appris ce qu'était un cul-de-lampe !)

 

 

 

 

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