L'Étourdi ou les Contretemps (Molière)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Jouée en 1655 à Lyon, composée peut-être un peu plus tôt, L'Étourdi a un rôle particulier dans la carrière de Molière. C'est sa toute première "grande pièce", écrite alors que la troupe de Madeleine Béjart, L'Illustre Théâtre, avait connu un changement décisif. L'expérience parisienne s'était en effet révélée désastreuse, et la troupe avait alors pris, comme tant d'autres, le chemin de la Province, sillonnant les routes de France entre 1645 et 1658. C'est dans ce cadre, alors que Molière composait essentiellement des petites farces inspirées de la commedia dell'arte, qu'il va écrire une comédie, toujours inspirée d'une source italienne, mais d'un genre différent : celui de la commedia sostenuta, qui consiste, pour faire vite, en une une sorte d'hybridation entre la comédie antique, structurée, et le théâtre d'improvisation.

 

 

Des défauts, L'Étourdi n'en manque certes pas, et Georges Couton - qui a présidé à la publication des Œuvres complètes de Molière en Pléiade - ne lui trouve guère que ça. Pour ma part, je trouve que Couton a la dent dure, mais il est vrai que ce n'est pas là la meilleure comédie de Molière, loin s'en faut ; ce qui est bien naturel, vu le contexte. L'intrigue est on ne peut plus classique à la base, puisqu'il s'agit là de l'histoire d'un jeune homme de bonne famille, Lélie, qui est amoureux d'une esclave, Célie, et que le père de Lélie n'est évidemment pas porté à un mariage entre les deux, pas plus que Trufaldin, qui a la garde de Célie mais compte bien la revendre pour une coquette somme. Or, Lélie ne dispose pas d'argent pour acheter Célie. On notera en passant qu'il est ici peu question de mariage mais surtout d'enlèvement, assez peu d'amour mais surtout de ruse. C'est que Lélie a à son service un valet fort astucieux, Mascarille, qui se fait fort de délivrer Célie (avec le consentement de celle-ci) pour la confier à Lélie. Mais, mais, mais... Mais si le valet est malin, le maître commet bourde sur bourde, et Lélie vient donc gâcher systématiquement, et plus souvent qu'à son tour, toutes les astuces que Mascarille a mis tout son talent à préparer.

 

 

Alors oui, il y a des longueurs, le rythme peut passer du vif au mou, les monologues et soliloques de Mascarille durent parfois longtemps, très longtemps, trop longtemps. Bon, oui encore, la psychologie des personnages est inexistante, mais à vrai dire, c'est quelque chose qui ne me dérange pas. C'est une comédie clairement construite sur le principe du gag à répétition, donc qu'il y ait répétition des sottises commises par Lélie, ça me paraît tout à fait logique, et même drôle. Si je compare ce running gag à celui du manteau dans Les Ménechmes de Plaute (ah ben oui, le running gag ça remonte à loin, loin, loin....), c'est quand même beaucoup plus marrant. Mes copains de classe m'ont toujours dit que j'étais très bon public, voire trop bon public, et ils ne sont pas les seuls ; eh bien, soit, je suis bon public, et j'ai ri à la lecture de L'Étourdi. Voilà.

 

 

En dehors des gags à répétition, on a aussi, et c'est important, Mascarille, un personnage truculent et malin comme un singe. Il porte la pièce, malgré quelques discours qui, je le disais, tirent en longueur, et ses engueulades à l'égard de son maître - car Mascarille ne respecte rien, et surtout pas la sottise - sont pleines de verve. Donc non, L'Étourdi n'est pas indispensable dans une vie de lecteur, et Molière s'est amélioré par la suite dans la composition de ses pièces aussi bien que dans la construction de ses personnages, mais c'est pas si mal pour une pièce de "jeunesse" (car Molière avait quand même en 1655 une petite trentaine et une expérience de la scène non négligeable).

 

 

Publié dans Littérature, Théâtre

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