Le Lien (August Strindberg)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Il devient pour moi de plus en plus difficile de parler des pièces de Strindberg. Je commence à en avoir quelques-unes à mon actif, même si j'ai encore du boulot pour en voir le bout (environ soixante pièces), et je deviens de plus en plus perplexe. J'ai comme l'impression que ses problèmes relationnels avec les femmes (qu'il s'agisse de ses épouses, de sa mère, de sa belle-mère, etc.) l'ont, soit amené à analyser les déchirements du couple et les rapports de domination entre hommes et femmes (qui est son grand sujet, sinon l'unique), mais aussi entre parents et enfants, ainsi que la question des conventions sociales, avec une véritable acuité ; et que paradoxalement, par moments, ces mêmes problèmes relationnels avec les femmes l'amènent à s'égarer plus ou moins. Dans Le Lien, il me semble que c'est le plus qui l'emporte sur le moins.

 

 

Car qu'est-ce qu'on a finalement, à part une pièce misogyne à l'extrême ? On ne peut certes pas réduire Le Lien à une explosion de misogynie, mais ladite explosion est tellement présente qu'elle rend la pièce difficilement lisible dans les deux sens du terme. C'est-à-dire que la lecture est d'une part rendue pénible par la misogynie qui l'imprègne (et pourtant, on est habitué à la misogynie avec Strindberg, hein), et que d'autre part, elle en devient difficile à interpréter, à analyser, parce que cet épanchement misogyne cache, au moins au premier abord, tout ce qui pourrait être intéressant. Et comme la lecture en est pénible, on n'a guère envie d'y revenir et de se fatiguer à essayer de comprendre le message de Strindberg, qu'il porte ici de manière assez confuse à mon sens. J'ai donc tenté de dépasser le stade de la lassitude, mais avec peine.

 

 

Ce drame est centré sur une procédure judiciaire, qui concerne la séparation entre le baron et la baronne Sprengel. Mais il présente en parallèle une autre affaire, très différente, qui porte sur une plainte pour diffamation de la part d'une domestique à l'encontre de son maître. Même si les deux affaires sont jugées l'une après l'autre (celle pour diffamation d'abord, celle pour séparation ensuite), elles alternent au début de la pièce l'une avec l'autre par le biais de dialogues entre plusieurs personnages, ainsi que par le biais des scènes de jugement. Surtout, elles rendent compte des mêmes phénomènes : les deux femmes sont affreuses, l'une ayant volé et ensuite accusé de diffamation son maître, obtenant de surcroît gain de cause (ce qui le ruine à cause de l'amende à payer), l'autre parce qu'elle a trompé son mari et qu'elle manigance des stratagèmes peu glorieux, voire pire, pour piétiner son mari. Et dans les deux affaires, la justice est impuissante, voire incompétente.

 

 

Déjà, cette affaire de vol et de diffamation est de trop, elle est là pour montrer et démontrer et rédémontrer à quel point les femmes sont puissantes, méchantes, cruelles et terribles, quand les hommes sont, eux, leurs victimes, mais aussi les victimes de la société, complètement désarmés face à la sournoiserie féminine. D'ailleurs la pièce débute par un dialogue entre deux hommes qui, après avoir parlé des deux affaires (à l'attention du spectateur), se livrent à des récriminations contre leurs femmes, qui selon eux, en sus d'être des mégères, veulent intervertir les rôles masculins et féminins. Le baron Sprengel ne dira pas autre chose à propos de son épouse pendant le procès. Donc bon, ça va, on a compris, c'est peut-être pas la peine de redire vingt fois la même chose.

 

 

Évidemment, étant donné qu'on nous montre essentiellement le couple Sprengel dérapant en plein tribunal, transformant le procès en scène de ménage et règlements de comptes grandiloquents, le Lien traite aussi des relations conflictuelles dans le couple : c'est précisément dans cette pièce que Strindberg parle de la "doublure de la robe" (désolée, je n'ai pas lu le texte original, et de toute façon je dois connaître trois mots de suédois, donc il m'est impossible de témoigner de la fidélité de la traduction), à savoir de la haine comme revers inéluctable de l'amour. Le souci, c'est que ce sujet a tellement été traité par Strindberg dans son théâtre, avant et après Le Lien, qu'on trouve facilement dans son oeuvre d'autres pièces où ce même sujet est traité plus finement et plus efficacement. Et on peut se demander si l'aspect autobiographique de cette pièce - qui fait référence au divorce de Strinberg et de Siri von Essen - ne la rend pas un brin outrancière par manque de recul. Est-ce qu'il n'y pas d'ailleurs paradoxe à dénoncer le manque total de retenue des protagonistes - les deux se lamentant entre deux scènes au tribunal à propos de leur attitude, qu'ils jugent indigne -, dans un drame qui rejoue ce qu'a réellement vécu, au moins symboliquement sinon exactement, l'auteur ?

 

 

Bref, on retrouve dans Le Lien les thématiques, pour ne pas dire les obsessions, de Strindberg : rapports de domination dans le couple, amour indissociable de la haine, le père vu comme victime de la société, l'importance du lien paternel, le besoin d'émancipation de la femme à n'importe quel prix, la femme terrifiante, et j'en passe. Comme c'est écrit dans ce que j'appellerai "la manière déplaisante" de Strindberg, avec une montée hystérique du drame, qui, pour ne rien gâcher, est le fait du personnage principal féminin, ce n'est pas une pièce que j'ai envie de recommander ; d'un autre côté, si on veut cerner un chouïa Strindberg, c'est à connaître. Alors, lire Le Lien ou ne pas le lire ? À vous de choisir.

 

 

Publié dans Littérature, Théâtre

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