Les viaducs de la Seine-et-Oise (Marguerite Duras)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Les Viaducs de la Seine-et-Oise a été publié en 1960. Duras s'était inspirée, pour l'écrire, de deux crimes rapportés dans les faits divers des journaux, que l'auteure scrutait alors de façon très régulière. Le meurtre qui a donné sa forme au crime perpétré par les protagonistes de la pièce fut commis dans la vie par une femme qui, après avoir tué son mari, l'avait découpé en plusieurs morceaux, qu'elle lança l'un après l'autre depuis un viaduc dans des trains, afin que le corps éparpillé ne soit pas identifiable. Arrêtée, elle dit qu'elle n'en pouvait plus de la tyrannie de son mari. Duras a repris le lieu du crime, et la méthode de brouillage des pistes. En revanche, on trouvera ici un couple, qui fait référence à un autre meurtre (un homme et sa maîtresse avaient assassiné l'épouse de l'homme), dont le procès avait été commenté par Duras et à propos duquel elle avait écrit : "Je crois qu'il faut tuer (puisqu'on tue) les criminels de Choisy, mais qu'une fois pour toutes on renonce à interpréter ces ténèbres d'où ils sortent puisqu'on ne peut pas les connaître à partir du jour." C'est dire que ce qui intéresse Duras à l'époque, en composant une pièce à partir de faits divers sordides, ce n'est pas le motif d'un crime, mais le mystère qui lui est attaché.

 

 

Donc, ici, nous avons un couple apparemment très ordinaire d'une soixantaine d'années, Claire et Marcel Ragond, vivant à Épinay-sur-Orge. Claire a poussé Marcel à tuer Marie-Thérèse Ragond, leur cousine handicapée qui vivait avec eux ; le corps a été démembré et jeté dans des trains en partance pour toute la France. Le premier acte les voit attendre, parler pour ne rien dire, parler du crime, vaguement, qui n'a pas encore été découvert. Le meurtre ne semble avoir été motivé par rien, si ce n'est que Marcel est probablement passé à l'acte par amour pour sa femme (à supposer que ce soit là un motif), et l'amour qu'ils se portent tous deux est d'ailleurs mis en avant. Claire Ragond se dit tout le temps très intelligente, elle est frustrée de sa vie dans un coin perdu où personne ne les connaît. Il est pas mal question de reconnaissance, ou plutôt du fait que tous deux passent inaperçus, même après avoir commis ce meurtre, puisqu'il n'a pas été résolu. D'où le second acte, qui les voit se rendre dans un café ouvert tard dans la nuit, avec l'intention de, disons, se faire connaître. Peu à peu, dans des termes abscons et dans une mise en scène curieuse, ils révéleront leur crime en public.

 

 

Plus que le sujet hyper morbide - et pourtant, ce genre de fait divers, c'est pas trop ma tasse de thé -, c'est le style qui m'a rendu la pièce pénible, ô combien pénible. Il a fallu que je porte toute mon attention à la notice pour que je me force à m'intéresser à la pièce, qui m'avait tout d'abord paru d'une platitude et d'un artifice fatiguant. Et résultat, si je reconnais que les arguments de la notice aident à une compréhension, disons, un tantinet approfondie, le sentiment que j'éprouve reste le même : je trouve la pièce assez vaine. Alors oui, on comprend qu'il y a frustration chez Claire Ragond, frustration d'une vie qui ne s'est pas épanouie contrairement à celle de Marie-Thérèse, la cousine, qui, elle ,vivait sa vie sans se poser de questions - du moins du point de vue de Claire, car après tout, on n'entendra jamais la voix de Marie-Thérèse. Duras n'essaie pas d'expliquer par là le meurtre, elle cherche plutôt à montrer que cette frustration mène à une sorte de mystère, de volonté nébuleuse de créer quelque chose qui sorte complètement de l'ordinaire. Je trouve que ça ne marche pas, mais alors pas du tout.

 

 

Le coup de l'empathie pour les meurtriers comme pour la victime, comme il est écrit dans la notice : zéro. Tous sont tellement tenus à distance que je ne vois pas comment j'aurais pu ressentir quoique ce soit. Le coup de l'amour et de la mort entremêlés, thèmes que Duras a souvent traités ensemble (pensons à Moderato Cantabile écrit juste avant cette pièce, ou encore à Savannah Bay, écrite bien plus tard) : zéro. J'ai pas vu l'intérêt. Le jeu de la révélation en public, avec un Marcel qui raconte une histoire et se met à tourner en rond dans la salle du café tel un prédateur, bientôt suivi de sa femme : zéro. J'ai trouvé ça grotesque. J'ai trouvé les dialogues artificiels au possible, et je n'ai à aucun moment retrouvé l'atmosphère que Duras est parfois si douée à faire ressentir.

 

 

Surtout, j'ai eu la sensation que Duras parlait d'elle-même à travers Claire : une femme très, mais vraiment très intelligente, qui sort complètement du lot commun, qui crée quelque chose de nouveau et profondément original... Ca m'a semblé terriblement... ben égocentrique, quoi. Duras elle-même s'est montrée assez dure avec sa pièce (même si je me méfie de telles réactions, et avec elle plus qu'avec quiconque - je me souviens trop du coup de Suzanna Andler), voulant la reprendre au moment où Laurence Olivier voulait la monter en Grande-Bretagne, n'y parvenant pas, jetant l'éponge et disant plus tard que les personnages lui paraissaient "antipathiques et faux", analyse que je partage totalement. Finalement, elle écrira plus tard le roman L'Amante anglaise, à partir de la même matière, puis l'adaptera en pièce avec Le Théâtre de l'Amante anglaise.

 

 

Tout n'est sans doute pas à jeter dans cette pièce (les thèmes auraient pu être bien mieux traités) ; il y a bien cette omniprésence du bruit des trains qui passent régulièrement hors-scène, par exemple, et qui est une très bonne idée dramaturgique. Mais ce que je ne peux m'empêcher de retenir, c'est le sentiment d'avoir lu une pièce, je le répète, égocentrique, et par-dessus le marché de mauvais goût. Mais sur ce point, on sait que Duras allait faire encore plus fort en 1985 à propos d'une autre affaire criminelle. Hélas.

 

 

 

Publié dans Théâtre, Littérature

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article