Nous avons toujours vécu au château (Shirley Jackson)

Publié le par Stéphanie MAYADE

Voici qu'Halloween s'annonce, et je vais donc, pour l'occasion, me consacrer pendant une certaine période à l'épouvante, au fantastique et à l'angoisse. Bon, c'est vrai, c'est surtout parce qu'il y a une pile de livres comme La maison hantée, le tome 2 de la nouvelle intégrale de Poe et quelques autres petites friandises qui m'attendent sagement depuis un bon bout de temps. Et je vais commencer par un roman que j'ai lu il y a deux ans, mais que j'ai encore bien en tête, et dont j'ai jusque-là eu la flemme (pour changer) d'écrire la critique.

 

 

De Shirley Jackson, nous ne connaissons finalement pas grand-chose en France. Elle a été peu traduite, et à part La nouvelle La loterie, et les romans La maison hantée et Nous avons toujours vécu au château, on connaît rarement d'autres œuvres - du moins c'est mon cas.

 

 

C'est un auteur qu'on classe dans le fantastique, mais dont le fantastique, d'après ce que j'ai pu lire d'elle, ne colle pas à la célèbre définition de Todorov. Pour ce qui est de La loterie et de Nous avons toujours vécu au château, on retrouve une ambiance étrange dans un milieu qui, pourtant, repose sur un décor réaliste. Ici, le ton est très vite donné : une jeune fille d'environ 18 ans qui vit dans une grande maison un peu à l'écart du village, doit justement aller faire les courses dans ce village, dont les habitants semblent lui être ouvertement hostiles ; mais elle-même éprouve des sensations assez curieuses vis-à-vis de ces habitants, comme le fait de ne pas supporter que les enfants la touchent. Shirley Jackson fait preuve dans les paragraphes d'introduction d'une maîtrise qui jette le lecteur immédiatement dans le trouble et instille une ambiguïté dérangeante. Est-ce que la narratrice est paranoïaque ? Est-ce que le village est constitué de gros cinglés ?

 

 

On apprendra que le village entier se montre en effet véritablement hostile à la famille Blackwood, qui comprend Merrycat, la narratrice (de son véritable prénom Mary Katherine), sa sœur aînée Constance et leur oncle Julian, handicapé et en mauvaise santé. On apprendra également, petit à petit, qu'un drame familial s'est joué dans la maison et que l'hostilité des villageois n'y est pas étrangère. Surtout, on verra Merrycat évoluer dans un monde qui reste depuis des années celui de l'enfance, courant ici et là, se cachant dans des grottes avec son chat, inventant toutes sortes de jeux typiques de l'enfance. Des jeux qui sont aussi des rituels, et correspondent donc à des fonctions et à des buts précis.

 

 

La tension est palpable, on sent que quelque chose cloche dans ce petit monde clos, que la tragédie familiale n'a pas dit son dernier mot. C'est peut-être alors que le roman se relâche un peu, et perd de sa densité. L'arrivée, principalement, d'un cousin de la famille, Charles, très intéressé par l'héritage des deux sœurs, va certes servir de catalyseur, mais dans le même temps, il casse un peu l'ambiance très particulière du texte. Je regrette aussi qu'on sache dès le départ l'âge de Merrycat, qui agit sans cesse comme une enfant, et il me semble qu'il aurait été plus percutant, d'un point de vue dramatique, qu'on apprenne son âge véritable beaucoup plus tard.

 

 

Néanmoins, je ne peux pas terminer cet article sans dire que Nous avons toujours vécu au château est, peut-être par-dessus tout, l'histoire de l'amour inconditionnel qui lie deux sœurs, de leur relation symbiotique, radicale jusqu'à atteindre un point de non-retour (rassurez-vous, je ne divulgâche pas la fin). Et c'est dans cette relation fusionnelle que se manifeste également l'atmosphère très spécifique de ce roman, et le fantastique si personnel de Shirley Jackson.

 

 

 

Publié dans Littérature

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