Galatée (John Lyly)

Publié le par Stéphanie M.

C'est un réel plaisir que de lire ce Galatée de John Lyly, dont il serait dommage de se passer - à condition de tomber sur le texte, ce qui est une autre paire de manches. Car tout le monde n'a pas, n'est-ce pas, et contrairement à ce que peuvent penser certains cyniques - persuadés que seuls ceux qui ont de l'argent et sortent d'une thèse en littérature lisent -, les moyens de s'offrir un volume de La Pléiade. Bref, voilà qui avait besoin d'être quelque clarifié, car j'ai lu en effet quelque part qu'un membre de Babelio invitait le reste de la communauté à s'offrir un ou deux volumes de la très prestigieuse et très chère collection (environ 70€ le volume, rien que ça). Heureusement pour nous autres, je tiens à préciser qu'existent ces merveilleuses inventions que sont les bibliothèques de prêt (quand elles prêtent des Pléiade, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas) !

 

 

Texte écrit pour plaire, et notamment, à la Reine - le prologue ne saurait nous tromper là-dessus -, la pièce est plaisante même pour nous, qui ne sommes toujours pas (cf. ma critique de Gorboduc) les dignes sujets de la divine Élisabeth, mais qui n'en sommes pas moins capables d’être charmés par ce théâtre décidément inventif, drôle, féerique, qui mêle les hommes déguisés en femmes et les femmes déguisées en hommes, le paganisme et la chrétienté, la mer et la forêt, les dialogues les plus comiques et les fureurs divines les plus noires, les désordres amoureux, les quêtes vaguement philosophiques et la recherche d'une harmonie universelle.



J'avoue, j'ai eu un peu peur lorsque je me suis rendue compte que les intrigues se succédaient et ne se ressemblaient guère, ainsi qu'en lisant les passages très marqués par les jeux de mots difficilement compréhensibles en français. Mais ces craintes ont rapidement été balayées. Je me lance donc dans le résumé à intrigues multiples, dont vous comprendrez aisément qu'elles m'aient un peu... déstabilisées. Dans un Lincolnshire antique, la coutume veut que tous les cinq ans, suite à des crimes impies commis par les Danois ayant envahi la région, les habitants d'un village doivent offrir en sacrifice leur plus belle vierge à Neptune, qu'on attache à un arbre et que l’affreux Agar vient chercher. Là-dessus, le berger Tityre, dont la fille Galatée est vraiment fort jolie, a l'idée de la travestir en jeune homme jusqu'à la date du sacrifice pour lui éviter un sort funeste. Procédé habituel, me direz-vous. Mais ne voilà-t-il pas que, devinez- quoi ? Le berger Mélébée, dont la fille Phylydée est tout aussi jolie que Galatée, a exactement la même idée. Et ne voilà-t-il pas que, entre deux lamentations dans les bois, les deux filles se rencontrent... et tombent amoureuses l'une de l'autre.
 


Mais pendant ce temps... Pendant ce temps trois frères font naufrage sur la côté du Lincolnshire, près d'un bois (comme par hasard!) et se cherchent un métier. Il se séparent pour se donner rendez-vous au même endroit, dans un an jour pour jour. Nous suivrons les pérégrinations d'un seul des frères, Rafe, qui après avoir tenté le métier de marinier va s'essayer à celui d'alchimiste, puis d'astronome.



Mais pendant ce temps... Pendant ce temps le dieu Cupidon se chamaille dans un bois (encore !) avec une des nymphes de Diane, qui pratiquent à longueur de journée le très sain loisir de la chasse. Car qu'y a -t-il de plus sain et de plus amusant que de tuer des animaux pour le plaisir ? Apparemment rien, selon les jeunes filles en question et leur sympathique déesse. Voilà donc Cupidon agacé vexé pour n'avoir pas convaincu la nymphe que rien ne vaut l'amour, et bien décidé à rendre toutes les nymphes de Diane amoureuses au point d’en devenir folles. Pour ce faire, il se déguise ne nymphe lui-même : c'est bien pratique pour infiltrer l'ennemi. Et les voilà toutes qui tombent folles amoureuses de qui, je vous le donne en mille : Galatée et Phylydée, qu'elles prennent naturellement pour des jeunes hommes. Branle-bas de combat, Diane est un rien énervée, et réserve un sort peur enviable à Cupidon (lui arracher les ailes, et toutes sortes de petites mignardises du même genre).



Et pendant tout ce temps, Neptune, déguisé (oui, c'est une sorte d'obsession chez tous ces personnages), observe une grande partie du manège qui se déroule dans le bois, supporte assez mal qu'on tente de le duper et décide carrément de massacrer toutes les nymphes de Diane pour des raisons qui laissent à désirer. Survient Vénus, venue chercher son chenapan de fils, et... Et je ne vous raconterai pas la fin (sauf si vous m'offrez un volume de la Pléiade). Rassurez-vous, ça n'a rien d'une tragédie, comme vous l'aviez sans doute deviné.



Ce qui saute d'abord aux yeux, c'est, même sans avoir vu la pièce, son extraordinaire potentiel scénique. Entre les décors, les costume, les travestissements, les situations qui naviguent entre le discours amoureux et la veine comique, on a déjà de quoi se régaler. Et je n'exagère pas en parlant de comique, Galatée et Phylybée étant loin d'être en reste dans ce registre, ainsi que que le personnage secondaire d'Hécube, se lamentant d'avoir été choisie comme la plus belle, faute de mieux, pour être sacrifiée, et donc malheureuse de mourir, puis se lamentant à nouveau, quand enfin on découvre la supercherie dont elle est victime, de ne pas être la plus belle et donc de ne pas mourir... L'histoire de Rafe est peut-être un peu moins passionnante, quoiqu'elle ait son utilité, et c'est dans ces scènes qu'on a le plus affaire avec les fameux jeux de mots dont je parlais au début. Mais on s'y fait, bon gré, mal gré. Quant aux dieux, ils nous régalent particulièrement dans la scène finale, mais pas seulement.

 

 

Alors évidemment, c'est une pièce qui joue allégrement sur le jeu de apparences et des illusions, et vous n'avez pas besoin d'avoir commis une thèse que le théâtre élisabéthain pour vous y prêter. Je rappelle juste que, les rôles de femmes étant à l’époque de la pièce jouées par des hommes, très jeunes en général, Lyly s’en donne évidement à cœur joie sur les travestissements de comédiens jouant des femmes se déguisant en hommes, ou d'hommes se déguisant en femmes : c'était un truc imparable pour faire rire le public élisabéthain (bon nous, ça nous fait moins rire, forcément) et pour renforcer cette thématique de apparences. Ce que que j'avais pas saisi, je l'avoue, à première vue, c'est que le texte de Lyly est très savamment composé, sous ses apparences (encore!) charmantes. Trois intrigues, trois frères, trois maîtres pour le personnage de Rafe, trois grands dieux (Cupidon étant considéré comme un petit dieu)... Vous voyez où je veux en venir. Le chiffre trois est bien la clé de la thématique qu'a voulue développer John Lyly, à savoir le besoin d’harmonie qui doit présider à l'ordre des choses : destinée (représentée par Neptune), chasteté (Diane) et amour (Vénus) ne doivent pas s'affronter, mais se laisser apprivoiser. Et l'épilogue est là pour nous rappeler que nous ne saurions résister à l'amour (enfin, surtout les femmes)...


 

Je ne saurais me prononcer sur le style de John Lyly, apparemment très personnel et novateur, puisque je n'ai pas eu accès à une version originale (et à laquelle je n’aurais de toute façon rien compris). Mais je suis bien persuadée, encore une fois, que cette pièce serait un délice pour la scène. Et encore une fois, on peut toujours attendre !

 

 

Publié dans Littérature, Théâtre

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