Une ballade d'amour et de mort - Musée d'Orsay

Publié le par Stéphanie MAYADE

Dodgson - Amy Hughes (03)

Il est bien dommage qu'Une ballade d'amour et de mort ait été programmée (en partie du moins) pendant la rétrospective Manet, car elle en souffre visiblement. La plupart des gens ne font qu'y passer distraitement, lisent rarement les textes d'introduction, encore moins les cartels, et, s'ils accordent un peu d'attention aux œuvres picturales, ne jettent q'un bref regard aux clichés photographiques. Ce qui, en revanche, est un avantage certain pour les autres visiteurs, qui peuvent profiter de cette exposition à loisir, tout en riant sous cape d'imaginer les foules entassées dans les salles de l'autre côté du musée (situation qui me rappelle un récent article sur le blog Louvre-passion à propos de Nature et idéal – Le paysage à Rome). Et pour une fois que l'on ne cherche pas à nous appâter avec un titre racoleur présentant de près ou de loin un rapport avec l'impressionnisme, ce serait idiot de ne pas en profiter !

D'autant que cette exposition traitant des rapports entre la photographie britannique de la seconde moitié du XIXème siècle et la peinture préraphaélite est plutôt réussie dans l'ensemble, d'une part, et qu'elle présente des œuvres, picturales ou photographiques, qu'on n'a pas si souvent l'occasion de voir en France, d'autre part (je pense en particulier à celles de Rossetti, Millais et Peach Robinson, même si le musée d'Orsay possède une superbe photographie de ce dernier). Les influences que chacune a pu exercer sur l'autre, les références et les thèmes communs, les buts parfois identiques que toutes deux se proposent d'atteindre sont assez clairement exposés et l'aller-retour entre les deux assez aisé pour le visiteur. Un bémol, cependant, sur les deux premières parties qui concernent "l'œil ruskinien" (c'est-à-dire une nouvelle approche des sujets et de la nature) et le traitement du paysage.

 

Il me semble qu'il n'est pas toujours très évident de comprendre, au XXIème siècle, en quoi la photographie de paysage et la peinture préraphaélite constituaient un bouleversement dans l'art et dans la société du XIXème siècle en Grande-Bretagne, bouleversement qui saute d'autant moins aux yeux des Français que nous sommes. En effet, les premières images qui nous viennent en général à l'esprit lorsqu'il est question du préraphaélisme (quand il nous en vient), sont plus ou moins apparentées au Moyen-âge et à la légende arthurienne, voire à Shakespeare. C'est d'ailleurs, à mon avis, ce qui fait la bonne fortune des reproductions des œuvres préraphaélites. Or, un des autres aspects fondamentalement novateurs du mouvement, beaucoup moins mis en avant - et qu'on retrouve dans la photographie de paysage - se rapporte à une démarche nouvelle en matière de représentation de la nature. Les peintres préraphaélites ont choisi d'aller peindre en plein air, de peindre ce qu'ils voyaient, et, si nous avons le sentiment qu'il n'y a rien là de bien neuf, tout blasés et gonflés d'importance que nous sommes parce que notre pays a donné naissance à l'impressionnisme, nous nous trompons lourdement. Mais non, au XIXème siècle, - attention, grosse révélation à venir - les impressionnistes n'ont pas eu le monopole de la peinture en extérieur, pas plus qu'ils ne l'ont inventée (ce qui ne veut pas dire non plus que les préraphaélites aient été les premiers à l'avoir pratiquée). Toujours est-il que les préraphaélites se sont énormément attachés à cet aspect de leur art, tout comme les photographes paysagistes ; de ce point de vue, la végétation dans l'Ophélie de Millais (qui n'apparaît pas dans l'exposition) est tout à fait exemplaire.


Par conséquent, je pense qu'il n'aurait pas été inutile d'accrocher quelques œuvres "académiques" de l'époque, pour faciliter la comparaison (comparaison qui, pour le coup, est dans l'exposition impossible) et démontrer noir sur blanc (c'est le cas de le dire) en quoi photographes et peintres préraphaélites bousculaient la tradition. D'autant plus que ce que j'avance concernant notre approche de la peinture préraphaélite est encore plus valable pour la photographie ; tous les clichés qu'on nous donne à voir dans ces premières salles sont, pour l'œil contemporain et à première vue, de banales photographies de paysage – exception faite, peut-être, pour un cliché de Henry White intitulé Fougères et ronces, et dont le dégradé des teintes est étonnant ; encore faut-il avoir envie de s'arrêter devant (après tout, ce ne sont que des fougères en photo), et, donc, avoir saisi l'intérêt de photographier des fougères à l'époque (j'ai comme l'impression que mon article prend un tour assez prétentieux, comme si je laissais entendre que personne n'a compris l'intérêt de cette partie de l'exposition, sauf moi. Ce qui n'est pas du tout ce que je voulais dire, en fait. Bon, tant pis si j'ai l'air de me la jouer, vous ferez avec). Mais cette exposition relevant d'abord d'un projet britannique, l'opposition entre peinture victorienne, d'une part, et peinture préraphaélite et photographie, d'autre part, est peut-être plus évidente pour un public lui-même britannique. J'ajouterai que les photographies de paysage sont peut-être légèrement trop nombreuses, vu que, une fois que l'on a compris l'intérêt de la chose, on a moyennement envie de regarder des paysages à la file. Cela dit, j'ai été véritablement étonnée et charmée de découvrir avec quel luxe de détails les sujets des épreuves sur papier albuminé tirées de négatifs au collodion (ah ah, notez ma parfaite maîtrise du jargon technique) étaient représentés.

 

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Dans les salles suivantes, place au portrait, à la mythologie et la littérature, et enfin à la représentation de la vie moderne. Bien que Julia Margaret Cameron soit particulièrement mise en avant dans cette partie de l'exposition, et s'il est incontestable qu'elle a joué un rôle fondamental dans l'élévation de la photographie au rang d'art (ses mises au point, très particulières pour l'époque, ont alors défrayé la chronique), je me lasse assez vite de ses portraits de jeunes filles dans des poses alanguies, toutes arborant un air triste ou rêveur (ou les deux à la fois), avec un recours à une mise au point volontairement floue beaucoup trop systématique à mon goût. J'émets d'ailleurs en gros les mêmes réserves à propos de Rossetti, que je n'apprécie pas tellement. Les deux partageaient d'ailleurs d'assez grandes lacunes en matière de technique ; lacunes à cause desquelles les clichés de Cameron ont pâli et se sont mal conservés et qui ont abouti à la disparition d'une fresque de Rossetti. Côté portraits, j'ai donc, entre autres, largement préféré ceux de Dodgson (alias Lewis Carroll), admirablement mis en scène, à ceux plus ou moins éthérés de Cameron. Notons aussi la présence d'une série de portraits de Jane Morris par John Robert Parsons, sous la direction de Rossetti, dont certains méritent vraiment qu'on s'y attarde (mais pas tous, à mon avis. Quelques uns manquent singulièrement d'intérêt, je me demande bien ce que Rossetti avait en tête).

 

Côté "mythologie" et vie moderne, ce sont Henry Peach Robinson et Oscar Rejlander qui m'ont tapé dans l'œil. Le premier, pour ses clichés recomposés qui sont emplies d'une grande théâtralité et baignant souvent dans une ambiance un peu morbide (je ne me lasserai jamais de Fading away et She never told her love) ; le second, en grande partie à cause d'une photographie qui s'intitule Homeless et qui traite des conditions de vie des enfants des rues - sujet qui commençait alors à préoccuper la Grande-Bretagne - de façon tout à fait poignante. Enfin, mention spéciale aux deux tableaux de John Millais présents dans l'exposition, La fille du bûcheron, qui traite de la prostitution et dont l'héroïne arbore un regard étrangement flou (un flou pictural, technique, à la Cameron, si j'ose dire) et Un Huguenot, le jour de la Saint-Barthélemy ; tous deux dégagent une tristesse et un sentiment de fatalité intenses, associés à un traitement incomparable des couleurs. On regrettera évidemment l'absence d'Ophélie et de Mariana, qui auraient eu toute leur place ici. Une petite esquisse de Mariana figure cependant aux côtés de photographies de Cameron et Peach Robinson traitant du même thème (tiré de Mesure pour mesure de Shakespeare), celui d'une jeune fille lasse d'attendre son fiancé.

 

Un bémol tout de même concernant cette charmante Ballade d'amour et de mort : les textes, mal écrits, sont bourrés d'incorrections et de fautes de grammaire. Voilà qui gâche quelque peu le plaisir de la visite. Pas très classe, de plus, pour un musée comme Orsay…

Rejlander - Homeless

Publié dans Arts plastiques

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