Franz Xaver Messerschmidt - Musée du Louvre

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Messerschmidt - Vieillard (01)
 

C'est une chose que de s'arrêter pour regarder une  représentation scupltée de la douleur à l'état pur, c'en est une autre de devoir supporter la vue de toute une série de ce type de représentations. Et forcément, les  nombreux portraits de Messerschmidt - qui furent appelés "Têtes de caractère" après sa mort, mais que lui-même nommait simplement "Kopfstücke" - rassemblés en une même exposition, laissent un goût amer. Il faut dire que ces véritables  métaphores de la souffrance (et de l'aliénation mentale) sont assorties d'une parfaite maîtrise technique (Messerschmidt était un très bon praticien, tant dans le domaine de la fonte que dans celui de la ciselure à froid) et d'un grand réalisme de la forme, qui les rendent tout particulièrement frappantes.

On sait peu de choses sur Messerschmidt, puisqu'il s'est peu confié et n'a pas laissé d'écrits. Encore aujourdh'ui, les historiens de l'art s'appuient sur un des euls témoignages qui nous soient parvenus, celui de Friedrich Nicolai, un homme de lettres allemand qui rencontra Messerchmidt. Nicolai rapporta entre autres que le sculpteur se disait hanté, malmené par ce qu'il appelait "l'esprit des proportions", qui s'amusait à le torturer parce jaloux d'une découverte primordiale que lui-même, Messerchmidt, avait faite concernant les proportions... Pour chasser cet esprit malfaisant, Messerchmidt expliquait donc qu'il s'appliquait à se pincer de certaines façons en faisant des grimaces devant son miroir, et à en reproduire les effets par le biais de la sculpture : ce qui donnait vie aux fameuses "Têtes de caractères". Ces portraits (qui sont donc des autopotraits au sens figuré, mais qui ne le sont peut-être pas au sens littéral) avaient donc un but "thérapeutique", ce qui explique d'ailleurs qu'ils soient restés dans la sphère du privé et n'aient jamais été vendus ou exposés par le sculpteur de son vivant. On peut ajouter que deux des têtes grimaçantes de Messerchmidt (dont l'une a disparu et l'autre se trouve au Belvédère de Vienne) représentent, elles, un visage déformé au point que la bouche donne l'impression d'être un bec : il s'agit probablement de représentations de "l'esprit des proportions".

Une chose est particulièrement notable dans ces sculptures : c'est que presque toutes les têtes ont les lèvres serrées, pincées, voire rentrées ; elles sont même scellées par une bandelette dans quelques (rares) portraits. Certains y ont vu une relation avec les travaux de Mesmer sur le traitement des maladies psychosomatiques à l'aide d'aimants (Mesmer et Messerschmidt se connaissaient bien). L'historien de l'art Kris, qui s'est formé à la psychanalyse, comparait, lui, ces bandelettes à une symbolique ceinture de chasteté : Messerschmidt avait en effet déclaré à Nicolai être complètement chaste. Quant au-dit Nicolai, frappé lui aussi par la façon dont les lèvres des personnages étaient représentées, voici ce qu'il a rapporté par écrit sur ce sujet :
"Etant donné cependant  que la plupart d'entre elles semblent en proie à des convulsions si étranges et ont des lèvres imperceptibles tant elles sont pincées, je serais aujourd'hui encore très embarrassé s'il me fallait dans une certaine mesure deviner ce qui a motivé ce genre d'outrances, si ce que Messerschmidt considérait comme une règle fondamentale et m'avait confié au cours d'une conversation ne m'avait fait entrevoir la méthode sous-tendant sa folie. Il disait en effet : l'homme doit rentrer le rouge de ses lèvres parce qu'aucun animal ne le montre. Quelle étrange raison ! Je lui fis remarquer qu'un homme n'était pas un animal ; il avait cependant une réponse toute prête. Il me dit que les animaux ont de gros avantages sur les hommes ; qu'ils peuvent discerner et ressentir dans la nature beaucoup de choses qui demeurent cachées à l'homme. Quand quelqu'un  veut défendre des sottises, il a recours à n'importe quel sophisme, aussi bête soit-il. Le fait que les animaux ont le plus souvent des sens plus développés et sentent grâce à une ouïe et un odorat plus fin des choses que l'homme ne sent pas, était une explication qui, pour le bon M., était bien trop simpliste. Parce que son cerveau était plein d'idées étranges sur les esprits, parce que, comme beaucoup de gens ayant un faible pouvoir de discernement, il croyait devoir imputer tout effet inconnu à l'action  d'un esprit (causa occulta), il se figurait que les animaux pouvaient mieux que les hommes discerner les esprits et cherchait à l'expliquer - Dieu sait par quelle bizarre association d'idées - par l'absence de lèvres apparentes chez les animaux."

Les délires sculptés de Messerchmidt valant bien ses délires verbaux, malaise garanti devant cette étonnante (et, en quelque sorte, assez malsaine,  puisque normalement réservée au privé), réunion de bustes sculptés. A voir, car peu commun et saisissant ! Et c'est un sujet fascinant pour les psychanalystes en herbe, ou ceux plus expérimentés.


Exposition Franz Xaver Messerchmidt,
du 28 janvier au 25 avril 2011
au musée du Louvre

 

Publié dans Arts plastiques

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