Onirologie (Maurice Maeterlinck)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Après Les Visions typhoïdes, encore un étrange petit texte des débuts de Materlinck, qui, une dizaine d'années avant les publications de Freud sur les rêves, traite précisément de ce sujet. On sait que, comme la linguistique a apporté la démarche scientifique de l'approche structuraliste à ce qui deviendra la psychanalyse, les symbolistes portaient en germe beaucoup de questions qui seraient posées en psychanalyse - comme déjà les romantiques avant eux, et les surréalistes après eux. Je ne sais pas d'ailleurs si Breton avait eu connaissance d'Onirologie, mais je suis persuadée que le texte avait tout pour l'intéresser. Cerise sur le gâteau, Maeterlinck écrira un essai intitulé Introduction à la psychologie des songes en 1892 (réédité en 1985 dans une anthologie), donc trois ans après Onirologie.

 

 

Des influences, Maeterlinck n'en manque pas. Il cite notamment de Quincey, et, de façon moins évidente, fait référence au Dr Amédée Dechambre, dont l'article "Songe" de son Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales est pour beaucoup dans Onirologie. Mais dans la construction même de l'histoire, on reconnaît très bien l'influence de Poe , de même que dans certaines des premières nouvelles de Lovecraft. L'utilisation, notamment, d'un personnage secondaire mystérieux, qui semble verser dans l'occultisme, mais dont on préfère ne pas nous parler : c'est du Poe tout craché. Même chose pour l'atmosphère angoissante due à la vue de deux moulins, et pour le personnage d'Annie, dont on ne saura rien sinon qu'elle mourra jeune, et probablement peu de temps après l’événement relaté ici. Car événement il y a.

 

 

Un jeune homme, qui souhaite cacher une certain nombre de choses sur son entourage et en oublié au moins autant, décide de relater une étrange expérience qu'il a subie. Après une soirée passée dans la forêt, au bord d'un bassin et en compagnie d'une jeune fille dont on imagine qu'il est amoureux, le narrateur rentre chez lui, s'endort et tombe dans une rêverie qu'il ne s'explique pas au réveil (jusque-là, rien de très étonnant), mais qui va lui laisser des souvenirs très nets et durables, le troublant. Jusqu'à ce qu'il découvre, alors qu'il est orphelin, expatrié, sans aucune famille ni aucun souvenir de son enfance, une lettre de sa mère qui rentre en totale résonance avec son rêve. Or, en 1889, date de publication d'Onirologie, il est évident qu'on ne peut pas se souvenir des événements liés à la petite enfance, et certainement pas quand cette enfance remonte à l'âge de quatre mois - depuis, la psychanalyse et les sciences cognitives ont un peu changé la donne. S'en suivra une enquête du narrateur sur les lieux de sa petite enfance.

 

 

Ce n'est pas tant le fait que le narrateur puisse avoir réactivé le souvenir d'une époque censée avoir été complètement effacée de sa mémoire qui frappera le lecteur d'aujourd'hui, étant donné les connaissances scientifiques actuelles, que sa réaction face à cette révélation. L'idée d'avoir accès à ce souvenir le plonge dans un maelström de sensations, dans un vertige de possibilités. Il y a là en germe tout ce qu'approfondira par la suite Maeterlinck : la possibilité d'accéder à un monde qui semble par essence inaccessible. Et ce n'est pas par hasard si on retrouve des motifs bien connus des lecteurs de Maeterlinck, comme la forêt, le bassin, l'anneau d'or laissé tomber dans l'eau par Annie, le reflet d'Annie plongeant son bras dans l'eau pour le rattraper.

 

 

Onirologie n'est que le début de toute une réflexion sur le monde le visible et le non visible. On est d'ailleurs souvent tenté d'utiliser la psychanalyse comme outil pour aider à la compréhension de Maeterlinck, et c'est bien normal. Là, pas de doute, on est en plein dedans, et pourtant on se situe avant l'avènement officiel de la discipline. Mais on comprend aussi que Maeterlinck, déjà, choisissait un chemin parallèle à la méthode psychanalytique, pas opposée, mais personnelle et différente, qui tendra à l'ésotérisme, ce qui me fait répéter qu'il est très proche en cela des surréalistes.

 

 

Onirologie est essentiellement un texte destiné aujourd'hui à qui s'intéresse à la psychanalyse, à la question des rêves et de l'inconscient qui émergeait avec beaucoup de force à la fin du XIXème siècle, particulièrement chez les symbolistes, et, bien entendu, au parcours littéraire de Maeterlinck. En tant qu'objet littéraire propre, il est inabouti - il fait partie de ses tout premiers textes publiés - et n'a surtout de valeur aujourd'hui qu'en tant que document éclairant en partie les reste de l'oeuvre de l'auteur.

 

 

 

Publié dans Littérature, Sciences

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