L'anniversaire de la salade (Tawara Machi)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

On va faire une critique un peu bizarre, à propos d'un livre qui ne peut rester qu'une énigme, au moins en partie, à qui n'est pas versé dans la poésie japonaise en version originale. C'est à dire beaucoup de gens.

 

 

Mais qu'est-ce que L'Anniversaire de la salade, ce livre au titre si curieux qu'on a forcément envie au moins d'y jeter un coup d’œil ? C'est un recueil de tankas, pas tout récent puisque publié au Japon en 1987 (décidément, je me plonge dans la littérature de la fin des années 80, ces temps-ci). Mais alors, que sont-ce les tankas ???

 

 

Si vous avez lu les autres critiques babeliotesques sur L'Anniversaire de la salade, vous pensez que vous avez compris le principe ; car heureusement pour nous autres lecteurs décidés à critiquer cet étrange objet exotique (du moins aux yeux d'une nullité en poésie, et plus particulièrement en poésie japonaise, comme c'est mon cas), les éditions Picquier ont agrémenté ce recueil de trois postfaces, pas moins - et il fallait bien ça -, l'une de Sasaki Yukitsuna, ancien professeur de poésie de Tawara Machi, une autre de l'auteure elle-même, et enfin une dernière du traducteur, Yves-Marie Allioux. Ajoutons qu'une page Wikipédia existant sur le sujet, ça n'est pas non plus inutile de la lire - je vous y invite. Ce qui ne vous dit pas réellement ce que sont les tankas. Car oui, vous pensez avoir saisi le principe, disais-je : un poème de 31 syllabes de cinq séquences rythmiques calées sur le moule 5-7-5-7-7 (syllabes, s'entend). Ce qui donne dans la petite tête d'un lecteur francophone l'idée qu'un tanka ressemble à peu près à ça (j'ai toujours eu un don pour la poésie, comme vous allez vite vous en rendre compte), c'est-à-dire un poème de cinq vers de 5 ou 7 syllabes chacun :

"Les tankas j'aime ça

Les tankas c'est vraiment bien

Les tankas c'est cool

Les tankas ça ne se mange

Non non absolument pas"

 

 

Sauf que non, un tanka ne ressemble pas à ça (oui, c'est bien dommage, car j'étais bien partie pour faire un tabac chez les amateurs de tankas). Ce dont vous vous apercevez quand vous ouvrez le livre et que vous lisez n'importe quel tanka du recueil traduit en français ; tiens, prenons le premier qui nous tombe sous la main :

"Je n'ai pas le cœur à attendre le printemps

en ce mois de mars où avec toi je contemple

ces pruniers à floraison tardive"

Mince, déjà ça n'est pas divisé en cinq vers, et en plus... mais ça ressemble à des haïkus !!! Mais qu'est-ce que c'est que cette traduction, pourquoi on ne retrouve pas cinq vers, et pourquoi en plus y'a même pas 31 syllabes en tout ? C'est tout le problème de la traduction de la poésie japonaise en français, et des différences entre l'écriture japonaise et l'écriture française. Le tanka se présente en fait visuellement en une seule ligne verticale. Oui, pas cinq lignes verticales, mais une seule, absolument. Comment distingue-t-on les fameuses séquences syllabiques ? C'est pour moi un mystère, j'ai pas vraiment compris comment ça fonctionnait, les explications stylistiques ne m'ont pas beaucoup aidée, et en plus je ne lis pas les kanjis.

 

 

Yves-Marie Allioux explique dans sa postface que ses tentatives de traduire les tankas de Tawara Machi en cinq vers n'ont pas donné grand-chose à ses yeux, que ça occultait en partie la genèse et le sens du poème. Je suis mal placée pour donner un quelconque avis sur le sujet, mais j'ai au moins compris que d'un point de vue formel, on passe à côté des poèmes originaux dans les grandes largeurs. Déjà, si vous lisez certains passages de la pièce Richard II de Shakespeare dans une version bilingue, vous voyez bien qu'il est quasiment impossible de traduire :

"Uncle me no uncle

Nor grace me no grace"

Donc, on s'accordera à dire, avec le personnage du touriste japonais, qu'on voit apparaître à la fin du film Paterson de Jim Jarmusch (et qui lit un recueil de Williams Carlos Williams, avec je crois deux versions en mains, l'une en japonais, l'autre en anglais), que la poésie traduite, c'est... pfff. Bref, c'est compliqué, et il n'existe qu'une solution pour remédier à ce mur qui sépare le lecteur étranger du poème original : apprendre la langue du poète.

 

 

Du coup, comment comprendre ce qui a fait la nouveauté des tankas de Tawara Machi, dont on a dit qu'elle avait bouleversé la matière ? Là aussi, c'est compliqué. Sasaki Yukitsuna explique que, certes, utiliser la langue moderne permet de renouveler l'art du tanka, mais que le tanka en langue moderne est pratiqué depuis quelques dizaines d'années ; et de se lancer dans des explications stylistiques qui expriment bien davantage en quoi Tawara Machi a bouleversé l'art du tanka, mais sont malheureusement hors de notre portée si nous nous référons à notre traduction française.

 

 

Donc, comment donner un avis sur L'Anniversaire de la salade à partir d'une traduction qui, de toute façon, ne peut pas respecter le texte original ? Ça relève de la gageure, mais j'observe que pas mal de gens s'y sont risqués, en s'attardant sur les sujets traités par l'auteure et l'impression qui s'en dégage, même à travers une traduction. Une petite précision : Tawara Machi n'a pas écrit des tankas clairement séparés les uns des autres, elles les a regroupés dans des ensembles qui portent chacun un titre. Ce qui permet parfois de dégager une thématique claire, parfois moins. Il s'agit avant tout d'exprimer un ressenti (c'est une des règles du tanka, on n'invente pas des émotions ou des faits qu'on n'a pas vécus) ; les sentiments les sensations de Tawara Machi restent donc abordables par ce biais, où il est question souvent de la fin d'une relation amoureuse, d'un chagrin d'amour, de souvenirs de jours ou de moments heureux et simples, mais aussi, parfois de la famille, d'envie de maternité, d'agacement, ou d'autres chose encore qui font le cours de la vie. Sasaki Yukitsuna insiste sur le traitement du dépit amoureux par Tawara Machi, et c'est bien ce qui frappe le plus le lecteur, et je crois que c'est ce qui fait chez l'ensemble du lectorat à peu près l'unanimité : le quotidien des histoires d'amour qui vont se terminer ou se sont déjà terminées.

 

 

Bien. Sur ce, il ne me reste plus qu'à aller étudier les kanjis et deux ou trois petits trucs pour parler, lire et écrire le japonais.

 

Publié dans Littérature

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