La quête onirique de Vellit Boe (Kij Johnson)

Publié le par Stéphanie M.

Ça fait quand même un moment que l'industrie hollywoodienne nous impose son hypocrisie, ses quotas et sa pseudo morale avec un acteur noir par ci, un acteur latino par là (c'est plus récent), un acteur asiatique par ici (c'est encore plus frais), un homosexuel par là, etc., etc. Les deux derniers trucs à la mode, c'est de transformer un héros blanc bon teint en héros à la peau noir, ou, dernière trouvaille merveilleuse, en femme. Alexandre Astier lui-même, qui n'est en général pas peu fier de son originalité créative, s'est moulé tout gentiment dans le modèle consensuel nord-américain.Ça peut fonctionner parfois, ça peut avoir un intérêt réel (même si c'est franchement rare), mais la plupart du temps, non seulement ça ne fait pas sens, non seulement ça fleure bon la mascarade, mais ça fait carrément contre-sens. Dernier exemple désastreux en date : le remake des chevaliers du Zodiaque par Netflix, qui n'a strictement rien compris à la philosophie de l'anime, et a transformé en femme badasse un personnage masculin qui incarnait justement une autre image de la virilité que celle du combattant lourdingue. Cela dit, comme il existe un réel problème d'accès à la culture aux États-Unis, et c'est rien de le dire, on peut comprendre que le public nord-américain gobe ça tout cru. On fait semblant de gommer sur écran les inégalités sociales et sociétales en tous genres, et les flics blancs peuvent continuer à flinguer tranquillement des citoyens noirs dans la rue, les femmes sont toujours priées de faire du bénévolat (excellente démarche pour lutter contre le chômage, mais il est bien connu qu'il n'y a pas de chômage aux États-Unis), de bosser à temps partiel et de rester dépendantes sur le plan financier, les Latinos ont toujours autant de mal à trouver un boulot correct, voire un boulot tout court, le communautarisme est un modèle de vie, et j'en passe. Mais pas de problème, du moment qu'Hollywood pratique un joli lifting qui masque tout ça.

 

 

Et quel rapport avec La quête onirique de Vellit Boe ? Tout. Kij Johnson, en bonne citoyenne des États-Unis qui n'a jamais réfléchi à la tartuferie que tout ça représente mais tout ingéré sans se poser de questions, a repris tous ces codes pour concocter une bouse prétendant dénoncer la misogynie et le racisme de Lovecraft. Oui, parce qu'avant Kij Johnson, absolument personne ne s'était rendu compte que Lovecraft était raciste. Donc, heureusement qu'elle était là pour nous apporter LA révélation. À ce point, on ne peut même plus parler de révélation mais carrément d'épiphanie : je pense que le mot n'est pas trop fort. Donc, Kij Johnson se veut, ni plus ni moins, l’écrivain qui a remis Lovecraft à sa place. Sauf que... Sauf que déjà, pour écrire, il faut avoir des idées. Je ne suis a priori pas contre le fait de reprendre un personnage, un univers, de le rendre malléable et de l'enrichir. Mais reprendre le schéma d'un autre roman, avec en gros les mêmes péripéties, en changeant juste deux-trois trucs par-ci par-là et en transformant le héros en femme, sous un prétexte fallacieux et, pire qui recèle des clichés qui valent largement ceux de Lovecraft, on ne peut pas appeler ça de la création. Bon, je peux reconnaître à Johnson un meilleur sens du rythme que celui de Lovecraft dans La quête onirique de Kadath, qui manque cruellement, à mon sens, à ce roman (roman que je n'aime pas plus que ça, d'ailleurs). Mais pour le reste, ça revient juste à surfer sur la vague très lucrative de la mode lovecraftienne, mode bien juteuse ces temps-ci. Mais ce n'est évidemment pas le but de Johnson que de faire des ventes faciles avec un roman qui se vendra de toute façon comme des petits pains...
 


Passons au plat principal : la misogynie et le racisme. Où est-il question de dénoncer le racisme d'une société (américaine ou autre) dans La quête onirique de Vellit Boe ? Jamais. Les personnages sont presque tous d'une blancheur de peau immaculée, dont Vellit Boe, l’héroïne. Un ou deux autres ont vaguement le teint hâlé, et voilà. Y a-t-il une interrogation posée sur les discriminations ethniques ? Non. Y a t-il des manifestations de discrimination de la part de Vellit Boe envers des créatures qui ne lui ressemblent pas du tout ? Oui, et pas qu'un peu. On peut clairement noter son dégoût pour plusieurs créatures des mondes oniriques, même si elle finit par s'y habituer parfois vaguement. Las chats, c'est cool, elle connaît. Les autres créatures qu'elle n'a jamais appris à côtoyer, c’est cracra. Et puis celle des créatures "dégoûtantes" qui la suit le plus longtemps va se transformer en bagnole à la fin : ben ouais, un bel objet utilitaire, c'est quand même mieux qu'un ami qu'on trouve moche (oui, je divulgâche, et je m'en fous). Voilà pour le racisme : Johnson nous fait une belle démonstration de ses propres préjugés (et vu ce qu'elle dit des créatures fantastiques des mondes oniriques, je n'ose même pas imaginer ce qu’elle pense des clochards, par exemple. Je suppose qu'elle les trouverait plus charmants si on les transformait en voitures).

 

 

Quid à présent de la misogynie ? Comme je l'écrivais en début de critique, ce serait si facile si on se contentait de remplacer un héros masculin par une héroïne et qu'on réglait ainsi tous les problèmes. Visiblement, c'est ce que prétend réussir Johnson. Sauf que là encore, il y a un léger hic. Car La quête onirique de Vellit Boe est un roman sexiste. Alors en effet, ce ne sont pas les femmes qui sont en première ligne. Ce sont les hommes. Ici, les hommes sont lâches, voire brutaux, rêveurs donc puérils, incapables d'affronter la vie, pénibles, inutiles. Remplacer un type de sexisme par un autre, voilà qui est constructif, ma foi ! Quant aux petites phrases de Kij Johnson, qui joue l'innocence dans l’interview de fin de livre, tout en affirmant que certaines femmes violées ont tout intérêt à donner dans le déni et à éviter se considérer comme victimes, je ne crois pas que ça aide beaucoup les victimes (car oui, ce sont des victimes) de viols... Par conséquent, et au-delà de cette dernière et épineuse question, on a là un roman aux tendances discriminatoires, et clairement sexiste. Et quand vous saurez qu'en 2017 , Johson n'a rien de trouvé de mieux que d'écrire le remake du Vent dans les saules en remplaçant les personnages masculins par des personnages féminins, vous aurez compris qu'elle explpite juste un bon filon, sur la base d’œuvres littéraires inventées par d'autres qu'elle. On attend donc dans les années à venir Le Hobbit avec une hobbite et des naines, Vingt mille lieues sous les mers avec une capitaine et un équipage féminin, un docteur Jekyll qui se transformerait en femme, etc. etc. C'est à pleurer.
 


Et je ne sais même pas ce que me dérange le plus dans tout ça. Parce qu’en sus, Kij Johnson, ça se sent dans le roman mais ça se se confirme dans l'interview, ne connaît pratiquement rien à Lovecraft. Pire, elle n'a rien compris à La quête onirique de Kadath, qui est une ode à la nostalgie de l’enfance. C'est pourtant clair, faut pas un QI de 180 pour le comprendre, mais elle est complètement passée à coté de ça ; là aussi, c'est à pleurer. Parce que la conclusion de La quête onirique de Vellit Boe, c'est qu'être serveuse à mi-temps dans un café miteux aux États-Unis pour pouvoir se payer des études au rabais, c'est le pied, que conduire un 4x4, c'est le pied (message hautement écologique), que se nourrir en se faisant livrer de la bouffe industrielle, c'est le pied, et, cerise sur la gâteau (je l'ai déjà dit, mais il faut que je le répète), que les créatures vivantes qui nous dérangent parce qu'elles sont trop différentes de nous, c'est le pied de les voir être reléguées au statut d’objets utilitaires. Belle morale, ma foi, qui fait sacrément honneur à son auteur ! Ah oui, et j’oubliais un détail, Kij Johnson affirme ceci dans son interview : "J'ai grandi dans un coin de campagne où tout le monde était d'origine allemande, norvégienne ou suédoise, sans trop penser aux questions de races [en France, on n’utilise pas le terme de race, évidemment], une problématique qui me semblait essentiellement urbaine." Alors c'est marrant ; qu’elle n'ait jamais réfléchi au racisme, ça, on l'avait bien compris, mais on notera au passage qu'il n'est pas question dans ce coin de campagne, dont le racisme était - évidemment ! - absent, d’Africains, d'Asiatiques, de Latino-Américains, d'Océaniens...
 


Et j'ai donc envie de dire que, franchement, on ne prétend pas se réapproprier Lovecraft (ou n’importe qui d'autre) quand on connaît très peu et très mal son œuvre. Qu'on ne prétend pas donner des leçons d'anti-misogynie lorsqu’on est soi-même sexiste, ou d’anti-racisme quand on suinte les clichés discriminatoires. Et qu'on ne prétend pas donner des cours d'écriture fictive (c'est le métier de Johnson) quand on écrit des nullités soi-même. Mais ce qui me rend le plus triste, que Le Bélial', d'abord, s'abaisse à publier ce genre de bouse sous prétexte de faire du chiffre, et ensuite de me rendre compte que le lectorat français se fait avoir aussi facilement que le lectorat nord-américain avec ce genre de supercherie. Misère !

 

 

 

 

Publié dans Littérature

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