Je mourrai pas gibier (Guillaume Guéraud) - Editions du Rouergue

Publié le par Stéphanie MAYADE

Je mourrai pas gibier (Guillaume Guéraud) - Editions du Rouergue

J'ai eu une joyeuse conversation, pas plus tard qu'hier, avec mon conjoint, conversation qui tournait d'abord autour des films de fantômes, puis des films d'horreur, puis des films gore, trash... Bref, une conversation qui tournait mal ! C'est parce qu'il m'a parlé d'une particularité des scénarii de Massacre à la tronçonneuse et de Hostel (je vous avais prévenus que c'était une conversation dégueulasse), à savoir la conversion de la proie en prédateur, que j'ai pensé à ce très court roman de Guillaume Guéraud et que je me suis mise à lui en parler. Rien à voir avec le genre du gore, c'est juste un bouquin extrêmement sordide qui m'a traumatisée.

En 2007, ce livre a remporté le prix Sorcières - prix du livre jeunesse (oui, oui) attribué par les libraires et les bibliothécaires - dans la catégorie "roman ado". Je ne dirai pas que ce prix n'était pas mérité, au sens où il est excellent d'un point de vue littéraire. C'est juste que le faire concourir pour un prix destiné à la jeunesse, c'est un peu... malsain. Ainsi, et surtout, bien entendu, que de l'avoir publié dans une collection destinée aux adolescents (si vous voulez provoquer des suicides collectifs ou des shootings, y'a pas mieux à proposer). A cette époque, je travaillais à la section jeunesse de la bibliothèque municipale de Dijon et tout le monde en parlait... avec un air bizarre. Une de mes collègues m'a même dit : "J'adore les films d'horreur, les films gore, j'en regarde plein, j'adore ça, mais en lisant ça, j'étais traumatisée". Bref, je l'ai lu. Et il était bien à la hauteur de sa réputation sulfureuse.

Je choisis donc de vous raconter l'histoire, parce que si je ne le faisais pas, ça n'aurait aucun sens (rassurez-vous, lire le résumé est supportable ; enfin, plus ou moins). Le narrateur, Martial, est un adolescent coincé dans le village de Mortagne, où les gens (tous les gens) se divisent en deux clans : ceux de la scierie et ceux des vignes. Ils se détestent, mais ont tous un point commun (du moins les hommes) : la chasse. Et de répéter inlassablement : "Je suis né chasseur ! Je mourrai pas gibier ! ". Martial les déteste tous, y compris sa propre famille (il faut dire qu'il y a de quoi). Pour échapper à cette fatalité de la vie à Mortagne, il part en internat pour étudier la mécanique. Et se lie d'amitié, pendant les week-ends où il revient dans sa famille, avec la seule personne agréable et gentille du village, Terence, handicapé mental, considéré par tous comme l'idiot du village (quand on voit le niveau intellectuel des autres, on se demande pourquoi...). Et comme du gibier. C'est là, vous vous en doutez, que ça tourne au sordide. Pour sceller une pseudo-alliance entre "ceux de la scierie" et "ceux de la vigne", le frère et le beau-frère de Martial décident donc de se bourrer la gueule, puis d'aller se défouler sur Terence. Arrivée de Martial après les dégâts, qui soigne son ami, mais... ne réagit pas. Quelques temps plus tard, re-alliance et re-séance de défoulement sur Terence. Que Martial trouve à nouveau, dans un état... bref, dans un état qui le rend complètement fou, au sens propre. A un point qu'il en oublie toute compassion pour Terence, à un point que son unique but, son obsession soudaine, c'est la vengeance. Le roman se termine par un carnage (tout le monde y passe, et surtout la famille de Martial, à coups de hache, puis de fusil).

Voilà : c'est l'histoire d'un adolescent qui cherche à tout prix à échapper à un destin minable, mais qui est rattrappé par l'horreur, qui franchit la ligne et se retrouve à la fois dans le rôle de prédateur et de vengeur (on a un  sentiment presque jouissif à le voir tuer tout le village). C'est l'histoire de la cruauté des gens "ordinaires", de la barbarie au quotidien. C'est une analyse très juste des pires aspects de l'être humain. Et c'est sordide et déprimant parce que terriblement réaliste, très bien écrit, avec une grande économie de moyens. Pas de complaisance non plus : les scènes de torture ne sont pas décrites, mais avec le moment (très court, d'ailleurs) où Martial retrouve Terence qui s'est fait massacrer pour la seconde fois, on atteint le paroxysme du roman. On a envie de pleurer, de vomir...

A lire donc, parce qu'excellent, mais à ne pas mettre entre toutes les mains  (et prévoir un truc gai à faire juste après la lecture) !

Publié dans Littérature

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