A quoi sert le FRAC Bourgogne ?

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

A quoi sert le FRAC Bourgogne ?

A quoi sert le FRAC Bourgogne ?

 

 

2013 ayant marqué l'anniversaire des Fonds Régionaux d'Art Contemporain (FRAC), et ceux-ci constituant régulièrement un sujet de controverse (comme, d'ailleurs, l'art contemporain dans son ensemble), le magazine Capital, Le Figaro, via Luc Ferry, lui-même relayé au mois de novembre par le directeur de campagne du candidat du Front National à Reims (parti connu pour son action en faveur de la culture), s'en sont donnés à cœur joie l'année dernière. Capital manquant sans doute de critiques d'art compétents, l' article de mai 2013 se déclinait uniquement en termes de coûts : le seul exemple d'achat réussi d'un FRAC (en l’occurrence, celui d'Aquitaine) consisterait en une œuvre de Jeff Koons, d'une part parce qu'il est un des artistes les plus cotés du moment et que, d'autre part, le FRAC a acheté l’œuvre "à bas prix". Et donc que celle-ci a pris, depuis la date de son acquisition, de la valeur. Mais, regrette l'auteure, cette plus-value s'avère inutile puisque les FRAC, contrairement aux collectionneurs privés, ne revendent pas les œuvres achetées. Voilà pour l'art et les FRAC vu par Capital, qui a mené là une "très bonne enquête," selon Luc Ferry. Lequel Luc Ferry affirme lui-même dans son article du Figaro du 15 mai 2013 que les grands artistes ont toujours été reconnus (et riches) de leur vivant - oubliant de citer, entre autres, Balzac qui tirait à ligne, Van Gogh qui ne vendit qu'un seul tableau de son vivant, ou encore Erik Satie, artiste qui vécut misérablement s'il en fût. Luc Ferry ajoute que les grands artistes n'ont jamais eu besoin de recourir aux commandes publiques. Oubliant, là aussi que le systèmes des commandes publiques, notamment en France, remonte à quelques siècles et que nombreux furent les artistes qui concoururent pour le Prix de Rome, afin, justement, d'obtenir des commandes publiques et de vivre de leur art.

Bon, et le boulot des FRAC, c'est quoi au juste ?

Avant, chers lecteurs, d'aller plus loin sur ces question épineuses concernant les FRAC et de nous intéresser à celui qui est notre FRAC (le FRAC Bourgogne, bien évidemment), reprenons nos esprits et résumons-nous. La création des Fonds Régionaux d'Art Contemporain en 1982 (les FRAC étant réellement sortis de terre en 1983), voulue par Jack Lang, est tout droit issue de la politique de décentralisation alors menée par le gouvernement en place. Elle est donc intimement liée à l'histoire récente de la France et de ses institutions. Les missions des FRAC peuvent se présenter en trois grandes catégories :

  • la création d'un patrimoine d'art contemporain en région (mais non exclusivement régional) - et cela, nous y reviendrons, car cette notion de patrimoine est chère à Astrid Handa-Gagnard, directrice du FRAC Bourgogne. Les FRAC achètent donc des œuvres directement auprès des artistes, auprès de galeries d'art, mais peuvent également lancer des commandes. D'autre part, ils soutiennent la création via des résidences, des bourses, etc.
  • la diffusion des œuvres en région
  • la sensibilisation des publics à l'art contemporain (c'est là, notamment, qu'intervient l'action pédagogique mises en place aux bains du Nord par Isabelle Ménétrier)


Bien. Cette mise au point faite, je ne tiens pas spécialement à me poser en défenseur du FRAC Bourgogne (dont l'équipe ferait très bien ça toute seule), mais à dépassionner un peu le débat. Voyons où le FRAC Bourgogne en est dans tout ça...

 

Les enfants au FRAC !

 

Pour ce qui est de la pédagogie, je vous renvoie bien sûr à ma première chronique sur les "Rencontres de l'art contemporain". Mais l'action pédagogique du FRAC ne s'arrête pas là. D'une part, en dehors des "rencontres de l'art contemporain" , une médiation plus traditionnelle est toujours proposée aux heures d'ouverture à ceux qui le désirent. D'autre part, le travail s'effectue aussi par la diffusion d’œuvres en milieu scolaire, par les relations établies avec les enseignants, les professeurs relais, mais aussi parce que les enfants reviennent avec leurs parents dans les expositions qu'ils ont déjà vues (ou même que les parents y pointent leur bout du nez tout seuls). Les Bains du Nord ont accueilli plusieurs centaines de scolaires depuis leur ouverture. On peut d'ailleurs souvent observer que les enfants n'ont pas les préjugés de leurs aînés vis-à-vis de l'art contemporain et je gage que c'est grâce à cette génération que le regard sur l'art contemporain se transformera peu à peu. À eux de faire ensuite leurs choix en matière d'art en toute connaissance de cause.

 

Le FRAC, une "collection sans murs"

 

Depuis ma première prise de contact avec le FRAC Bourgogne en 1995 (une époque où je dois bien avouer que l'art contemporain m'intéressait tout de même assez peu), j'avais toujours eu l'impression, et ce jusqu'à l'ouverture en 2013 de l'espace des Bains Du Nord, que les collections du FRAC Bourgogne étaient peu montrées. De fait, lorsqu'on se penche de plus près sur l'action des FRAC, et sur celle du FRAC Bourgogne en particulier , force est de reconnaître qu'il n'en est rien. Un tiers des collections des FRAC sont montrées chaque année (ce qui fait des FRAC les collections les plus diffusées de France – on est bien loin de ça dans les musées). Idem pour le FRAC Bourgogne, qui, au cours de son histoire, n'a pas manqué à sa mission de diffusion. Et pourtant cette impression de ne pas avoir suffisamment accès aux collections demeure souvent dans les esprits. Je gage (mais ce n'est qu'hypothèse de ma part) que l'action de diffusion du FRAC Bourgogne, qui a fait vœu de nomadisme aussi bien que ses frères et sœurs – c'est-à-dire qui ne concentre pas la diffusion de sa collection dans un lieu unique, mais, au contraire, multiplie les actions en région, par exemple dans de petites villes qu'on n'associe pas volontiers à l'art contemporain, dans les établissements scolaires, voire au musée des Beaux-arts de Dijon – perd un peu en lisibilité. C'est pourtant bien la spécificité d'un FRAC que de se montrer partout en région (voire sur tout le territoire français, voire à l'étranger), y compris dans des endroits où ne l'attend pas ; et c'est d'ailleurs dans ce sens que les 30 ans du FRAC Bourgogne ont été célébrés non pas à Dijon, mais à La Charité-sur-Loire avec une exposition d'Alejandro Cesarco. Aujourd'hui, les FRAC "nouvelle génération" se dotent d'espaces permanents d'exposition ; sans doute un tournant, ce dont la création des Bains du Nord à Dijon – espace situé en plein centre-ville – témoigne.

Christian Boltanski, Man Ray, Joana Vasconcellos, Annette Messager et quelques autres...

 

Depuis trente ans, si l'on en croit Luc Ferry, les FRAC (et parmi eux, forcément, le FRAC Bourgogne n'échappe pas à la règle) n'auraient donc fait entrer dans les collections publiques que d'obscurs petits artistes frustrés. Je me suis donc penchée sur la liste des artistes du FRAC Bourgogne accessible sur le site. Je vous livre en vrac : Krij De Koning, John Armleder, Andy Warhol, Henri Michaux, Claudio Parmiggiani, Joana Vasconcellos, Yan Pei-Ming, Man Ray, Christian Boltanski, Annette Messager... Force est de reconnaître qu'on trouve là des noms quelque peu connus de l'art contemporain français ou international... Cela dit, le FRAC Bourgogne n'a pas forcément vocation à n'acheter que des œuvres de "stars" de l'art contemporain. Ce serait peut-être plus sûr (et encore, rien ne dit que Vasconcellos sera encore considérée comme une grande artiste dans vingt, cinquante, cent ans), mais le rôle du FRAC, c'est tout de même de se colleter à toute la création contemporaine, à un art vivant, et il est donc logique qu'on s'y intéresse autant aux artistes connus et reconnus qu'à des artistes émergents - à cela près que le FRAC Bourgogne, parce qu'il utilise de l'argent public, s'impose de n'acheter que des œuvres d'artistes possèdant déjà un vocabulaire plastique bien établi. Les artistes sortant d'écoles pourront être soutenus et suivis dans leur travail de création par l'obtention de bourses ou de résidences, par exemple. Pour ce qui est d'une certaine orientation du processus d'acquisition, Astrid Handa-Gagnard est très attentive à ce qu'achètent les autres FRAC et souhaite que le FRAC Bourgogne puisse plutôt acquérir ce qui manquerait aux autres collections. Ce peut-être une petite huile de Tursic et Mille, quasiment absents des collections publiques pour l'instant, ou des œuvres reflétant un aspect ou une période du travail d'un artiste peu présents dans les autres FRAC.

Acquisitions : transparence ou opacité ?

 

Attachons-nous maintenant au flou censé entouré le processus d'acquisition. S'agit-il réellement d'un manière de copinage dommageable à la collection ? Bien entendu, il ne m'a pas échappé que le Président du FRAC se nomme Claude Patriat et se trouve être le frère d'un certain François du même nom, accessoirement Président du Conseil régional de Bourgogne. Devons-nous en déduire qu'il s'agit là de népotisme et que Claude a été placé là pour avoir la main sur le FRAC Bourgogne ? Question à laquelle je ne peux répondre, mais que je peux en tout cas nuancer. D'une part, le Président du FRAC Bourgogne ne fait pas partie du Comité technique d'achat (car comité technique d'achat il y a). D'autre part, ledit Claude s'est engagé depuis longtemps dans l'action culturelle, notamment en tant que Président pendant 18 ans de Radio Campus, en tant que directeur de l'association Pro Atheneo durant 16 ans (à laquelle on doit le festival Nouvelles Scènes) et fondant dans les années 90 un DESS (aujourd'hui Master 2) de politique culturelle à l'Université de Bourgogne. On peut donc penser qu'il a une certaine légitimité à occuper le poste de Président du FRAC. Tout aussi important, tout le monde peut avoir accès sur le site du FRAC à la liste de l'actuel comité technique d'achat, qui comprend cinq membres (tous bénévoles) : Astrid-Handa Gagnard, directrice du FRAC Bourgogne, Xavier Douroux, directeur du Consortium, Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz, Fabrice Stroun, directeur de la Kunsthalle à Berne, ainsi que Sylvie Winckler, collectionneuse qui vient du monde de l'entreprise et très attachée à la Bourgogne. Difficile donc de contester d'emblée l'expertise de ces membres (dont on notera le fort ancrage à l'est). Par ailleurs, ce n'est pas le souhait d'Astrid Handa-Gagnard d'imposer ses choix personnels à tout prix : lors de réunions auxquelles assistent un représentant du Conseil régional et d'un représentant de l’État, chacun au sein du comité apporte son regard, son expertise, fait ses propositions, on en discute et, lorsque l'on a tranché en faveur d'éventuelles acquisitions, la directrice présente les choix du comité au Conseil d'administration qui doit les valider pour que les acquisitions aient bien lieu. Il existe d'ailleurs des procès-verbaux pour chacune de ces procédures.

 

FRAC en résistance

 

Comme beaucoup, je me suis longtemps sentie mal à l'aise dans le monde de l'art contemporain (les regards peu sympathiques des quelques jeunots, habitués de la Maison rouge à Paris, me resteront longtemps en mémoire), que j'ai souvent trouvé empreint de snobisme. Difficile parfois de trouver sa place dans un public déjà connaisseur et dégageant l'assurance d'une élite... Cependant, il me semble qu'à Dijon, le FRAC, comme Le Consortium depuis peu, s'ouvrent toujours davantage à un public plus large. Et il na pas toujours été facile pour ce même FRAC, comme pour les autres, d'ailleurs, de garder son identité. Présentés en 2008 par comme des "ovnis juridiques", de par leur statut d'associations à but non lucratif mais dotés d'une mission publique, ils ont eu à lutter constamment contre un élargissement, qu'on peut franchement qualifier de dérive, de leur mission. À mon grand étonnement, j'ai découvert que, parfois, on avait tendance à confondre FRAC et MJC et que certains acteurs culturels bourguignons proposaient d'organiser repas et soirées dansantes dans les enceintes du FRAC Bourgogne. Mais finalement, à quoi bon s'étonner dans un contexte de merchandising où les plus grands musées nationaux organisent des soirées privées à la chaîne et à une époque où l'on choisit souvent tirer le public vers le bas en lui faisant croire que l'art serait, contrairement à tout le reste, directement accessible sans effort (oui, bon, j'ai un peu l'air réac, là) ? Bref, le FRAC doit tenir ses positions de pôle d'art contemporain plus que jamais pour éviter les dérives en tous genres. Certes, le FRAC Bourgogne est avant tout constitué pour ses citoyens, mais c'est aussi une institution toute dédié à l'art contemporain, qui a vocation à montrer de l'art contemporain. Comme le dit Astrid Handa-Gagnard, la collection du FRAC Bourgogne constitue le patrimoine des citoyens tout aussi bien que les églises romanes et la gastronomie. Et chacun est libre de le fréquenter et d'aimer ou de ne pas aimer.

 

Liens :

Site du FRAC Bourgogne

 

Platform, site de regroupement des FRAC

 

Portail des collections des FRAC

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