Maintenant que j'ai cinquante ans (Bulbul Sharma)

Publié le par Stéphanie MAYADE

Elles ont toutes cinquante ans. Cinquante ans : le moment du basculement, de la révélation, ou de la prise de conscience. Ou de tout ça à la fois. Elles ont cinquante ans et sombrent dans la maladie mentale, meurent soudainement, apprennent à danser la salsa, parlent à un inconnu, quittent leur mari ou regardent avec tendresse leur vieille robe de chambre. Pour beaucoup d'entre elles, c'est l'heure de la liberté qui sonne enfin, après de longues années d'une vie régie par les contraintes sociales et familiales et qui les a étouffées. Pour certaines, c'est juste le temps d'une pause introspective - et c’est déjà pas mal. Pour d'autres enfin, c'est le point de non-retour. Bulbul Sharma revient encore une fois, à travers onze nouvelles, sur son sujet de prédilection : la condition des femmes indiennes. Pourtant, on n'est ni dans le ton triste de Mangue amère, ni dans l'ironie mordante de Mes sacrées tantes ; l'auteure, de recueil en recueil, sait très bien jouer sur les variations pour aborder à chaque fois de manière différente sa thématique dominante. Ce qui est spécifique à ce recueil-ci, c'est, je crois, le cadrage sur les relations familiales, et particulièrement sur les relations de deux individus au sein d'une même famille : mari et femme, mère et fille, et, surtout (!), belle-mère et belle-fille (apparemment la pire des relations qui soit, en Inde). Mais ce qui m'a marquée, c'est que l'étude de la pression familiale (qui peut aller jusqu'à la destruction d'une identité), bien que confinée au cadre de la société indienne, trouve ici une portée universelle. D'ailleurs, je retrouve dans les belles-mères de Bulbul Sharma une certaines ressemblance avec quelques femmes de ma famille, particulièrement celles issues des deux côtés de la Méditerranée... Mais j'ai surtout été frappée par l'analyse très juste des relations familiales étouffantes, qui s'applique, je pense, aux sociétés du monde entier - ou presque. Et la première nouvelle, qui donne son titre au recueil, en est une représentation terrible, via un récit fantastique et l'histoire d'une femme qui se laisse écraser par sa mère et développe une pathologie schizophrène - du moins c'est ce qui m'a semblé. Une autre particularité du recueil tient au fait que toutes les nouvelles ont pour cadre des familles très aisées (et même riches), ce qui permet à l’auteure de donner à voir une société très inégalitaire. Mais le sujet est plus effleuré qu'exploité, car l'enjeu, pour Bulbul Sharma, n'est pas là. Pas entièrement, en tout cas. À l'opposé de l'histoire qui ouvre le recueil, la plupart des nouvelles sont plutôt d'un ton optimiste et évoquent une émancipation tardive, mais bien réelle et durable. Certaines histoires sont très classiques, comme le coup de la femme qui quitte son mari du jour au lendemain pour changer de vie, ce qui est peut-être le plus grand reproche que je pourrais faire à l'auteure. D'ailleurs l'idée de la cinquantaine comme tournant d'une vie n'est pas extrêmement originale. Et, surtout, je trouve les deux dernières nouvelles d'une qualité moindre : le scénario est peu facile et la toute dernière, surtout, est écrite dans un style plat et répétitif qui sent le bâclé. Heureusement que la phrase finale rattrape un peu le tout ! Mais j'ai aimé les neuf autres nouvelles, et tout particulièrement La robe de chambre en velours rose : un petit moment de douce introspection et de poésie qui parlera sans doute à beaucoup de lecteurs. Toutes proportions gardées, c'est la touche quelque peu proustienne du livre. Robe algérienne en dentelle un peu kitsch ou chatoyant costume de velours violet des années 70... Je crois que nous sommes nombreux à avoir une robe de chambre rose qui dort dans nos placards.

Publié dans Littérature

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