Massacre à Paris (Christopher Marlowe)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Après les mésaventures de Bussy d'Amboise, je me suis dit : "Ben tiens, si on restait dans le thème et si on gardait les mêmes personnages, mais avec un autre auteur et en remontant un petit peu en arrière dans l'Histoire de France ?" Par un hasard des plus purs et des plus incroyables, il se trouve qu'il existe une pièce de théâtre de Marlowe qui traite de la Saint-Barthélémy : Massacre à Paris.

 

 

Massacre à Paris ou la pièce la plus problématique de Christopher Marlowe. Déjà parce que le texte n'est probablement pas de Marlowe - ça commence bien. Date de composition par conséquent imprécise, entre 1589 et 1593, pièce réputée inachevée et, en tout cas, incomplète ; ce qu'on n'a pas de mal à croire quand on lit le texte, deux fois plus court que celui des autres pièces de Marlowe et des autres tragédies élisabéthaines en général. Étant donné qu'on a bien retrouvé un feuillet, un seul, de la main de Marlowe pour une des scènes, et que le texte diffère de celui qu'on prenait pour l'original qui avait été publié, et étant donné tout un tas de recherches dont je ne connais pas les détails, il est fort probable que le texte que nous connaissons aujourd'hui soit une recomposition de la pièce originale (de Marlowe, donc), écrite à partir des différents feuillets, par exemple ceux des comédiens. En effet, à l'époque du théâtre élisabéthain, chaque comédien possédait un texte qui n'était pas le texte entier (il existait de gros problème de droits d'auteur à l'époque, ce qui poussait lesdits auteurs à éviter de distribuer leurs textes dans leur totalité, même à leur troupe) ; le souffleur possédait quant à lui une version spécifique. Sans compter que les pièces évoluaient au fur et à mesure des répétitions et des représentations. Massacre à Paris n'est donc pas la seule pièce élisabéthaine dont l'authenticité du texte, ou du moins la question du texte original, pose problème (le cas de Hamlet est célèbre), mais elle en pose beaucoup plus que d'habitude. Seulement nous, on aime bien les textes incomplets depuis qu'on s'est bien amusés avec Eschyle et Les Suppliantes !

 

 

L'histoire, c'est vite vu : ça commence avec le mariage de Henri de Navarre et de Marguerite, sœur du roi Charles IX, juste avant la décision d'éliminer les chefs huguenots. Puis, attentat sur Coligny, et dérapage complet dans la nuit du 23 au 24 août 1572 où entre 10 000 et 30 000 personnes furent assassinées dans la France entière. Au-delà du rôle de Catherine de Médicis et de Charles IX, c'est bien plus le Duc de Guise qui est l'instigateur de cette folie meurtrière dans la pièce - c'est lui, à mon sens, qui était pensé comme le héros, comme Faust ou Tamerlan sont ceux des pièces qui portent leur nom, ou encore comme Barabas est celui du Juif de Malte. Après moult meurtres prenant moult formes, mort de Charles IX, repentance de celui-ci et pause ; et seconde partie concernant la chute et la mort de Guise, jusqu'à la mort de Henri III devenu roi et la passation de pouvoir, Navarre devenant le nouveau souverain.

 

 

La structure en deux parties, qui présente d'abord l'ambition démesurée, l'appétit vorace, la soif insatiable d'un personnage prêt à tout pour atteindre son but, c'est du pur Marlowe. Sauf qu'il manque du texte, c'est évident. On a bien droit à un ou deux monologues de Guise, mais sa fureur devrait prendre des proportions bien plus importantes, bien plus imposantes - même Edouard II, qui s'abandonne régulièrement aux volontés des barons, s'adonne à des des accès de rage que l'emportement de Guise est loin d'égaler, mais dont on sent qu'ils ne demandent qu'à se réveiller. Quant à sa chute, elle va un peu vite - pour tout dire, on en profite guère. Et la jalousie qu'il montre envers sa femme n'est absolument pas exploitée.

 

 

On voit donc bien tout le potentiel que recèle la pièce, combien la multitude d'assassinats menés par Guise devrait nous mener, comme ailleurs chez Marlowe, à la fêlure d'un homme pour qui le monde n'est pas à sa mesure et qui cherche à atteindre l'inaccessible. Mais, ce que nous retenons plutôt de Massacre à Paris, c'est la folie de la société qui est à la hauteur de celle de Guise. Et donc que les massacres, qui sont censés avoir duré dix-sept ans, ne sont pas prêts de s'arrêter : c'est ce que laisse clairement entendre le nouveau Henri IV, à qui Henri III mourant a demandé la tête du pape - rien que ça. Massacre à Paris était de toute façon une pièce sur la monstruosité de l'humanité, qui plonge allègrement ses mains dans un bain de sang, mais de par sa forme incompète et bancale, elle ne joue par sur le registre du personnage qui incarne cette humanité plus que tout autre : Guise, évidemment.

 

 

J'ajoute tout de même que les dernières paroles de Henri III, qui sont pour... devinez qui... la reine Elisabeth Tudor, dites donc ! - que ces dernières paroles, donc, sont là pour faire plaisir à ladite Elisabeth et sans intérêt. Henri III se convertissant en mourant à l'anglicanisme, on n'y croit pas trop trop, surtout si on est Français, et encore moins quand on sait que Marlowe se fichait assez des religions, voire même qu'il était un libre-penseur.

 

 

Pour finir, on sent bien que la pièce n'est pas ce qu'elle devrait être aussi parce que les dialogues manquent singulièrement de relief par moments. J'en ai d'abord accusé la traduction que je lisais, mais il semblerait que le texte original souffre effectivement des mêmes platitudes. Tout de même, je n'ai pas aimé la traduction de Dorothée Zumstein, au-delà des rajouts qu'on lui a commandé pour une mise en scène : l'actualisation du langage n'apporte rien.

 

 

Alors évidemment, c'est dommage de se dire qu'on a affaire à une pièce qu'on ne peut pas apprécier à sa juste valeur, d'autant que les pièces qui nous restent de Marlowe se font rares. Malheureusement, on n'y peut pas grand-chose.

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Publié dans Théâtre, Littérature

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