William Degouve de Nuncques, maître du mystère (Collectif)

Publié le par Cthulie-la-Mignonne

Alors que je m'étais imprudemment lancée dans un essai indigeste sur Maeterlinck, l'idée m'est venue d'alterner ma lecture avec celle d'un catalogue d'exposition sur William Degouve de Nuncques. Et bien m'en a pris ! Non seulement voilà qui m'a permis d'aérer mon esprit englué dans le labyrinthe stylisticien qui m'avait prise au piège, mais les deux ouvrages se complétaient bien puisque Maeterlinck et Degouve sont deux figures du symbolisme belge, l'un en littérature, l'autre dans les arts plastiques. J'ai même découvert avec ce catalogue que Degouve avait réalisé les décors de la pièce Intérieur de Maeterlinck.

 

 

Degouve de Nuncques, maître du mystère, c'est d'abord une exposition de 2012 - que je n'ai pas vue -, qui fut montée au musée Félicien Rops (cet autre grand artiste du symbolisme belge) de Namur. Bizarrement, aucune exposition sur l'ensemble de l'oeuvre de Degouve n'avait encore été organisée. Degouve n'est pas très connu en France, malgré le fait que tous les visiteurs du musée d'Orsay puissent admirer son célèbre Nocturne au parc royal de Bruxelles, mais je pensais qu'il en était tout en autrement en Belgique. Que nenni ! Cette exposition et ce catalogue ont donc enfin permis de faire découvrir plus largement cet artiste passionnant. Un maître du mystère, on vous dit !

 

 

Pour ma part, je connaissais le Nocturne au parc royal de Bruxelles (vous vous en doutiez forcément), La Maison aveugle, que j'étais persuadée d'avoir vu de mes yeux à Bruxelles, mais en fait pas du tout (je confondais avec un tableau de Magritte, parce que ce dernier s'est inspiré de La Maison aveugle pour L'Empire des Lumières), et quelques autres œuvres trouvées sur le Net, dont Les Paons. Du coup, je me suis rendu compte de l'étendue de mes lacunes. La plus flagrante consistant en ma certitude que Degouve était un artiste symboliste, point. Or, le symbolisme n'est que la partie immergée de l'iceberg - mais aussi la plus intéressante, on ne me fera pas croire le contraire.

 

 

Ce catalogue étudie donc différents aspects de l'oeuvre de Degouve. Le symbolisme, bien entendu, puis les relations qu'il a entretenus avec la Hollande (où il a vécu pendant la Première guerre mondiale) et les artistes néerlandais comme Toorop, la période qu'il a passée à Majorque, ses œuvres à sujets religieux, ses paysages enneigés. Trois derniers essais sont consacrés à son oeuvre littéraire, pratiquée en amateur, et à la collection Kröller-Müller, puisque le Kröller-Müller Museum a prêté bon nombre de tableaux pour l'exposition.

 

 

Je n'y irai pas par quatre chemins. Bien que j'aie découvert nombre d’œuvres que je ne connaissais absolument pas, dont les paysages hivernaux qui ont beaucoup occupé Degouve après le 19ème siècle, c'est sans appel en ce qui me concerne : sa période symboliste se révèle la plus intéressante à regarder et à analyser. C'est à cette époque, à la fin du 19ème siècle, qu'il s’est réellement montré novateur, comme, à simple titre d'exemple, Picasso avec le cubisme ou Kandinsky avec l'abstraction. Deux artistes qui sont revenus ensuite à des styles plus conventionnels, et qui sont très représentatifs de l'évolution des artistes en général. On est très rarement innovant toute sa carrière durant, et on finit en général par s'assagir et par "rentrer dans le rang". Degouve n'a pas fait exception à cette règle, et par conséquent, c'est l'essai de Denis Laoureux sur la période symboliste de Degouve qui s'avère le plus remarquable. Il y décrypte très bien les compositions de Degouve, sa façon d'utiliser à la fois la géométrie, les ambiances nocturnes et l'absence de l'humain pour distiller dans ses œuvres une sensation de mystère, d'infini, de lien avec l'invisible. Et on notera qu'en cela, sa peinture et ses pastels sont en adéquation totale avec le premier théâtre de Maeterlinck.

 

 

Pour autant, les autres essais ne sont pas inintéressants, d'abord parce qu'ils lèvent le voile sur toute une partie de la production de Degouve qu'on ne connaît quasiment pas. Le séjour à Majorque, dont on comprend bien qu'il a dû changer la vision que Degouve avait de son art, est évidemment un tournant, puisqu'on passe difficilement d'un environnement à un autre, qui est son exact opposé, sans en ressentir les conséquences dans sa pratique artistique (on pense à Matisse ou à Bonnard lorsqu'ils se sont mis à peindre dans le sud de la France). Elisée Trenc écrit que Degouve, qui a pas mal fréquenté à Majorque le peintre Joaquim Mir y Trinxet, s'est montré alors plus audacieux que ce dernier. Je me demande s'il n'y a pas un peu de parti-pris dans cette assertion, alors qu'on se rend bien compte que Degouve est en train d'épuiser à cette époque ses dernières ressources symbolistes. Mir se montrera par la suite, à mon avis, plus novateur que Degouve. Par conséquent, quant à affirmer que Degouve a vraiment montré la voie d'une nouvelle peinture à Mir, je laisse cette conclusion à Elisée Trenc - surtout que je ne connais pas Mir plus que ça.

 

 

Je ne vais pas vous infliger le résumé de chaque essai et de chaque thématique traitée. Je me serais finalement passée de celui sur Helene Kröller-Müller, mais celle-ci ayant fondé le musée qui porte son nom (musée qui a prêté pas mal de tableaux au musée Rops pour l'expo, je le rappelle) et ayant été une des plus grandes collectionneuses de Degouve - même s'il s'agit essentiellement de paysages enneigés -, il était logique d'en parler. De même, si les paysages hivernaux ne sont pas plus que ça ma tasse de thé, il aurait été impensable de ne pas y consacrer un essai (par ailleurs digne d'intérêt) : c'est une partie très importante de la production de Degouve, je le rappelle aussi, et que personnellement que je ne connaissais absolument pas. Quant à ses tentatives en matière de littérature, notamment en poésie et en théâtre, voilà qui éclaire d'un jour nouveau la personnalité d'un artiste qu'on associait jusque-là uniquement à ses peintures et pastels.

 

 

Je vois deux défauts principaux à ce catalogue. L'un est de type pratique : lorsqu'une oeuvre est mentionnée, jamais n'est précisé à quelle page du catalogue on peut retrouver sa reproduction. Ce qui s'avère pénible à la longue. D'ailleurs, il me semble bien que toutes les œuvres mentionnées ne sont pas représentées. Celles de l'exposition, oui, mais il ne m'a pas semblé que c'était le cas pour les autres, en tout cas pas systématiquement. Or la tradition veut que dans un catalogue, on reproduise toutes les œuvres mentionnées, comprises ou pas dans l'exposition. Le second défaut est tout subjectif (quoique...) L'oeuvre symboliste de Degouve aurait probablement mérité un essai plus long. Ou alors, on aurait pu, comme ça avait été le cas pour le catalogue de l'exposition bruxelloise sur Fernand Khnopfff, choisir de s'arrêter sur quelques œuvres et les décrypter pour le lecteur. Mais après tout, les essais nous donnent déjà pas mal de pistes, et il ne nous est pas interdit de faire fonctionner notre petite tête pour nous lancer dans l'analyse de telle ou telle oeuvre.

 

 

Le grand intérêt de ce catalogue, c'est en tout cas de faire sortir de l'ombre un artiste trop méconnu. J'ai découvert nombre de tableaux ou de pastels symbolistes de Degouve dont j'ignorais l'existence - et que je rêve maintenant d'aller voir sur place -, ses tableaux de Majorque, ses paysages hivernaux, certaines de ses premières œuvres, et des manières, y compris dans ses œuvres symbolistes, dont je n'avais pas idée ; par exemple, ses forêts verdâtres aux arbres tordus, et à la facture bien différente de celle du Cygne noir, du Canal, d'À Venise, ou d'Effet de nuit, pour ne citer qu'un petit nombre d’œuvres. Un très joli ouvrage, donc.

 

 

Publié dans Essai, Arts plastiques

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